Lydia Jardon
Lydia Jardon

Résilience, Sonates pour piano 6, 7 et 8 de Nikolaï Miaskovsky par Lydia Jardon

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Après deux premiers albums unanimement salués par la critique, ce dernier enregistrement intitulé Résilience clôture le projet de Lydia Jardon dédié à l’intégrale des Sonates de Miaskovsky.

La résilience est un terme devenu désormais à la mode, notamment grâce au psychiatre Boris Cyrulnik, désignant communément, dans le monde de la psychologie positive, la capacité à rebondir, à se relever après une épreuve. Le terme de résilience a été utilisé pour la première fois par le philosophe Francis Bacon au 17ème siècle pour décrire dans son ouvrage “Histoire naturelle” la manière dont l’écho rebondit.

Au regard de la vie de Nikolaï Miaskovsky, confronté au régime totalitaire stalinien, le titre de cet album est plus que pertinent car la trilogie exprime toutes les capacités dont a su faire preuve le compositeur pour sublimer à travers son art la souffrance endurée. Comme tant d’autres artistes de l’époque sous l’oppression de l’appareil d’état russe.

Dans son album précédent, Lydia Jardon était une lectrice attentive du journal de bord de Miaskovsky, donc son rôle était plutôt celui d’observatrice des tourments et souffrances du compositeur. Au travers de ce troisième enregistrement, la pianiste va plus loin dans sa quête de l’engagement artistique et devient une sorte d’accompagnatrice du parcours de résilience que mène Miaskovsky. La pianiste n’est pas seulement au service de la musique en interprétant l’écriture du compositeur mais apporte un regard bienveillant sur le compositeur, n’hésite pas intervenir dans la psychologie de l’auteur pour vivre aussi la résilience tout au long du programme.

Lydia Jardon
Lydia Jardon

Sonate 6, Op.64

Dans la Sonate 6, Op.64, tourments, colère, révolte et enfin sérénité s’alternent, l’œuvre traduit tout cela en musique. Le début du Allegro ma non troppo respire un optimisme dès les premières notes. Une douce luminosité se projette tel un beau rayon de soleil après tant de moments sombres. Toutefois le mouvement se résout en optimisme solennel. Un espoir ou une conviction pour l’avenir ?

Andante con sentimento ; dans ce deuxième mouvement qui commence paisiblement, la pianiste devient une amie bienveillante de Miaskovsky. L’optimisme du mouvement précédent tourne ici en sombre nuage avant de retrouver l’instant paisible à nouveau. Enfin une réconciliation avec soi-même ?

Dans le mouvement Molto vivo, une cascade de notes dissonantes et colériques dégage d’emblée une mystérieuse atmosphère. C’est une transformation (ou un développement) du 2e mouvement ; le thème du mouvement précédent réapparait mais teinté de couleurs sombres avec un tissage rythmique accéléré. Lydia Jardon met en évidence ce contraste par rapport au mouvement précédent par son jeu délicat et profond. Le mouvement se termine par une conclusion décisive avec la résolution des accords.

Sonate 7, Op.82

Sonata (Allegro Moderato), ici la pianiste entreprend un dialogue intime avec le compositeur dans un ton doux et calme. Leur échange s’entend sous forme de questions et réponses. Elégie (Andante pensieroso) est très imprégné d’esprit fauréen, une douce mélodie nostalgique se déploie comme si elle rappelait les belles années d’autrefois.

Allant, joyeux et dansant, Danse rondo (Allegro giacoso) réveille l’esprit de l’auditeur. Les graves et les aigues se répondent, chacun ayant un discours bien distinct, dans une ambiance tendue. Le dialogue entre l’interprète et le compositeur se poursuit également mais le ton change ici. La voix aigüe et la voix basse se questionnent et se répondent comme deux personnages qui se connaissent bien maintenant.

Sonate 8, Op.83

Barcarolle-Sonatine (Allegretto) déploie les douces mélodies mélancoliques en plusieurs lignes qui s’échangent en canon. Comme un artisan, Lydia sculpte le son et accentue les voix distinctes. Chanson Idylle (Andante Cantabile) prolonge l’ambiance du précédent mouvement. Mais ici la narration est longue, rappelant un monologue interminable d’un certain Schubert.

Le Choral-rondo (Vivo) sonne tel un message éloquent décisif et succinct. L’auditeur entend Lydia s’amuser avec un jeu vertical passionné. Quelques beaux passages fauréens enchantent l’oreille.

Lydia Jardon
Lydia Jardon

L’esprit de Gabriel Fauré se poursuit dans la pièce suivante. Chant, Op.58 (Andante cantabile e rubato), digne de la Ballade Op.19 du compositeur français, donne envie de l’associer à un beau texte de Baudelaire. Sous les doigts de Lydia Jardon une série de beaux chants coulent de source sur un tapis harmonique coloré. De caractère libre, Rhapsodie, Op.58 est un bel éloge qui clôt la biographie sonore du compositeur.

Dans ce projet, il s’agit avant tout d’une histoire de l’engagement artistique de Lydia Jardon s’intégrant corps et âme dans l’univers du compositeur. Certes les œuvres de Miaskovsky méritent une telle attention et un tel intérêt, toutefois sans engagement de l’interprète les œuvres de Miaskovsky n’auraient pu être sublimées.

Il s’agit d’un bel exemple de conviction, volonté et travail acharné d’une artiste interprète qui sublime les œuvres et rehausse les valeurs de leur créateur initial.

Le mot de l’artiste

“Après les deux albums du projet de l’intégrale des sonates de Miaskovsky, il s’agit du dernier de la trilogie. C’est un témoignage de toute une vie du compositeur, une vie âpre et sombre intérieurement. Je suis allée rencontrer sa famille et visiter son petit appartement dans le vieux Moscou où il a vécu confiné avec une valise au pied de son lit en attendant l’interrogatoire comme beaucoup d’autres confrères qui ont vécu aussi l’époque effroyable…

Quand vous rentrez dans l’œuvre d’un compositeur vous êtes en collision frontale avec son âme. Sans connaître sa vie vous pouvez parfaitement identifier la teneur de sa souffrance.

Ce troisième enregistrement est le plus apaisé et le plus spirituel des trois. Il peux donner un plaisir simple et immédiat. Sans surinterpréter, il faut laisser parler la musique en jouant simplement.”

 

Toutes les recettes du disque Résilience seront reversées à l’association d’aide à l’Ukraine u24.gov.ua

 

Passionnée de musique depuis son plus jeune âge et pianiste accompagnatrice, Marine partage ses émotions au travers de ses chroniques. Elle collabore en tant que rédactrice avec différents médias français et coréens spécialisés dans la musique classique. Diplômée du cursus professionnel « Administrateur / Producteur Projets Musicaux » à l’Université Paris X, Marine est conseillère artistique et développe divers projets artistiques.

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