La première chose que l’on ressent quand on passe le portail qui amène à l’abbaye de Royaumont est un sentiment de paix intérieure. Un étang artificiel, entouré de deux chemins et une allée d’arbres, attire le regard et le conduit vers son point de fuite : l’abbaye elle-même.
Impossible de résister au charme de ce monument cistercien, où tout, du cloître aux ruines de l’abbatiale, transpire le calme et la beauté, comme si le temps ne s’était pas arrêté et les moines étaient encore là en train de travailler en silence, de lire ou de prier.



Ce lieu donne envie de s’arrêter un moment, d’oublier la frénésie du quotidien et prendre du temps pour réfléchir, méditer. Cet apaisement est un état idéal pour la création artistique et je ne suis pas étonnée de voir que la devise de Royaumont est : « inspirer, créer et partager. »
Situé dans un lieu marécageux parfaitement aménagé par les moines qui ont dévié la Thève et l’Ysieux pour en exploiter le potentiel hydraulique, Royaumont n’est pas dans une abbaye comme les autres. Fondée en 1228 par le roi Saint Louis, cette abbaye royale (comme l’indique son nom) a vécu une histoire étonnante : successivement négligée et restaurée, démantelée et reconstruite, elle a changé d’usage et de propriétaires au fil du temps et au fil de l’histoire.
A sa fondation, on y trouve cent vingt moines, issus de l’aristocratie, et quatre-vingts convers (des laïques qui vivaient et travaillaient à l’abbaye en assurant le lien avec le monde extérieur). A l’opposé du bâtiment qui abritait ces convers et qui protégeait le reste du monastère se trouve le bâtiment des moines. Il comportait des salles de réunion, comme la salle du chapître où les décisions concernant la gestion des lieux étaient prises, et des dortoirs à l’étage.
Plus au sud, se trouve le bâtiment des latrines, qui ensuite devint l’habitation du prieur au XVIIe siècle, puis une orangerie puis une édifice industriel. Une tourelle au fond du bâtiment nous rappelle l’existence d’une construction annexe, que l’on imagine être le bâtiment des novices, une tour pour relier le bâtiment aux latrines ou bien une tour d’alerte.
En rentrant dans le monument, on découvre le magnifique réfectoire des moines, dont l’architecture évoque plus une chapelle qu’une salle à manger, avec sa hauteur de voûte, ses colonnes élancées et ses grandes ouvertures colorées par des vitraux. Au milieu se trouve la chaire du lecteur, qui lisait les textes saints, pendant que les autres moines mangeaient. C’est ici qu’aujourd’hui ont lieu la plupart des concerts, accompagnés par le magnifique orgue Cavaillé-Coll.
Seul un guichet, où les moines allaient chercher leur repas, mettait en communication la pièce avec les cuisines et où l’on peut voir toutes les traces des remaniements architecturaux. Logiquement, de l’autre côté de la salle se situe le réfectoire des convers, qui a servi également de théâtre.
Au nord se situait une église imposante, dont les cent-huit mètres de longueur et sa largeur de transept de vingt-huit mètres en faisaient une église bien plus somptueuse que celles des autres monastères de l’époque. Malheureusement, en 1473, elle subit un incendie, qui en ravageât la toiture et le clocher. Elle fût démantelée au XVIIIe siècle. Il ne reste plus aujourd’hui que les vestiges des piliers et des colonnes dont la disposition nous permet d’en reconstruire le plan au sol.



Après la Révolution, l’abbaye, devenue bien national, est acquise par le marquis Jean Joseph Bourguet de Guilhem de Travanet qui, en 1792, en s’inspirant des anglais, y installe une usine pour la filature, le tissage et le blanchissement du coton. Ce changement d’usage vît également des changements architecturaux importants : l’installation d’une roue hydraulique dans le bâtiment des latrines, un nouveau plancher pour gagner un étage dans le bâtiment des moines, la création de bâtiments de tissage à côté du clocher de l’église, et d’un village pour les trois-cent ouvriers et leurs familles.
Royaumont revint enfin à son ancienne splendeur grâce à la Révolution Industrielle.
Le propriétaire suivant, Joseph Van der Mersch, installa dans l’ancien réfectoire des moines un atelier d’impression de tissus et transforma les ateliers de tissage en cottages, loués aux parisiens pour les vacances.
L’ère industrielle de Royaumont s’acheva dans les années 1860, et en 1864 elle redevint un lieu religieux, où s’installèrent les religieuses de la Sainte Famille de Bordeaux qui purent restaurer l’abbaye pour y installer un noviciat. En 1904 une lois interdisant l’enseignement aux congrégations religieuses, changeât à nouveau le destin des lieux qui en 1905 furent achetés par un autre riche industriel : Jules Edouard Gouïn, qui les restaura et entretint.
Royaumont était donc devenue résidence de campagne de la famille Gouïn, mais l’explosion de la première guerre mondiale en modifia à nouveau l’usage, en devenant hôpital auxiliaire géré par un groupe de femmes médecin écossaises.
Ces femmes remarquables, dont l’exercice médical était très limité dans leur pays d’origine, s’installèrent elles-mêmes dans l’abbaye, avec bien peu de moyens, organisèrent des ambulances féminines avec personnel féminin et créèrent l’hôpital bénévole plus près des lignes de front.



Si au début, ces femmes émancipées et un peu rebelles n’étaient pas reconnues et faisaient même un peu scandale, car elles fumaient et conduisaient des voitures, les tragiques résultats de la guerre obligèrent à leur faire confiance et à les reconnaître.
Aidées par l’Institut Pasteur, qui leur envoyait des médicaments à tester, le Scottish Women’s hospital soignât plus de 1000 blessés dont il sauverait la plus grande partie, mais malgré leur courage et les résultats du travail de ses femmes, leur passionnante aventure, que l’ont peut lire dans le livre « Angels of Mercy : A Women’s Hospital on the Western Front 1914-1918 » d’Eileen Crofton, ne leur gagna aucune reconnaissance. À leur retour en Ecosse elles terminèrent leur carrière comme elles l’avaient commencée, en travaillant dans les colonies étrangères.
En 1918 Henry Gouïn, successeur de Jules Edouard Gouïn, épouse Isabelle Lang. Grand mélomane, il devient président de la société des concerts de la revue musicale, qui avait un esprit avant-gardiste. En 1936 a lieu a première saison musicale de Royaumont et en 1938 il créé un foyer et propose des bourses pour les artistes et les intellectuels.



Mais l’Histoire change à nouveau la donne et à la fin de la deuxième grande guerre, où le frère d’Isabelle, le pianiste François Lang, décède, Goüin decide de créer un centre Culturel International où seront accueillis, entre autres Ionesco, Nathalie Serraute, Mircea Eliade, Jankelevitch et Francis Poulenc et même des étudiants allemands.
En 2014 la « Fondation Royaumont pour le progrès des sciences et de l’homme » a célébré son histoire et son parcours à l’occasion de son 50e anniversaire.
Un grand merci à Francis Maréchal, directeur général de la Fondation; Sylvie Brély, déléguée générale aux programmes artistiques; Justine Marin, chef jardinier-maraîcher; Thomas Vernet, responsable de la Bibliothèque musicale François-Lang; Nathalie Le Gonidec, responsable des archives; Frédéric Deval, directeur artistique du programme musiques transculturelles; Florence Petros, attaché de presse musique et danse et à toute l’équipe de la Fondation Royaumont pour leur accueil et leur disponibilité.
Merci également à Louis-Noël Bestion de Camboulas, Etienne Bazola, Arnaud Marzorati, Camel Zekri et Olivier Fourés, qui nous ont fait découvrir les coulisses de leurs créations.