© Eric Manas

Entretien avec Nicolas Bacri

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Comment avez-vous choisi de devenir compositeur ?

Du plus loin que je me souvienne, j’entendais de la musique dans ma tête, surtout de l’orchestre. Et je pensais que c’était le cas de tout le monde. Comme j’ai eu la chance d’être né dans une famille de musiciens, très tôt, en discutant avec mon père, je lui ai entendu me dire : « Ce n’est pas donné à tout le monde, il faudra travailler ». J’ai commencé la musique assez tard, le solfège à sept ans et le piano à huit. J’ai débuté la composition vers treize ans ; à l’époque, j’improvisais encore beaucoup au piano et je me suis mis à enregistrer mes improvisations. C’est vers quatorze ans que j’ai commencé à noter ces improvisations et, à quinze ans, à écrire directement les notes sur la partition, sans enregistrer préalablement et bien sûr, à retravailler les notes prises afin d’en faire de véritable compositions, pensées et réfléchies. Peu de temps après, je cessais d’improviser presque complètement.

 

Qu’est-ce qui vous inspire au quotidien pour composer ?

Pour moi l’inspiration c’est la vision instantanée soit d’une globalité d’un parcours formel, soit d’un détail – orchestration, harmonie, motif mélodique, ou tout cela à la fois ; c’est cette vision instantanée qui provoque un enthousiasme, que j’ai envie de faire partager. Il n’y a pas chez moi d’antinomie entre avoir envie d’écrire une œuvre spontanément et répondre à une commande. Autrement dit, si je ne me sens pas inspiré par une proposition extérieure, je n’écrirai pas. Le stimulus est pour moi quelque chose de purement musical ; je ne suis pas très sensible à l’environnement ou la lumière, je ne suis pas un peintre. C’est le fait musical lui-même qui m’inspire, ce que je pressens de l’œuvre à venir qui enflamme mon imagination et me donne envie de me mettre au travail pour préciser ma vision sonore.

Que pensez-vous de la tendance actuelle dans la musique contemporaine, à savoir le retour à la tonalité et à la mélodie ?

Si vous dites ça, je suis ravi ! Car on me dit souvent : « Aujourd’hui on n’écrit plus de mélodie, plus d’harmonie, plus de rythme, et vous êtes un des seuls à continuer à le faire ! » Et si vous dites qu’on revient à tout ça, j’en suis vraiment heureux car en quelque sorte j’y ai contribué. Je suis né en 1961, mais ayant écrit mes premières œuvres significatives au début des années quatre-vingt, j’appartiens esthétiquement à la génération née à la fin des années quarante (comme Jean-Louis Florentz ou Philippe Hersant) qui, après s’être appropriés les langages issus de Darmstadt, ont trouvé leur véritable personnalité en se réappropriant la tradition dans ce qu’elle a de plus dynamique et stimulante pour l’imagination. J’étais aussi très lié à un compositeur qui, comme Florentz, nous a quittés bien trop tôt, Olivier Greif. Je suis donc heureux que vous perceviez notre tendance comme un mouvement cohérent, plutôt que comme un ensemble épars de dissidences.

 

Cependant, cette situation n’est pas toujours évidente…

Il faut bien garder à l’esprit que les institutions spécialisées dans la création musicale obéissent toujours à une doxa bien précise dans laquelle aucun des compositeurs dont je viens de parler n’a pu trouver sa place jusqu’à maintenant… Je me suis permis de faire plusieurs remarques sur les problèmes que cette situation soulève, de mon point de vue, dans Notes étrangères (paru en 2004 aux éditions Séguier) et dans Crise (à paraître en 2016). En quelques mots, je dirai qu’un attachement à la tradition, et même au passé (n’ayons pas peur des mots !) mais dans le sens que Mahler donnait à cette chose quand il disait : « La tradition c’est ranimer la flamme et non adorer les cendres », est indispensable si l’on souhaite, et c’est mon cas, parvenir dans chaque œuvre à « la façon la plus riche de sens de contredire les attentes de l’auditeur » (The meaningful contradiction of expectation), comme l’a très bien écrit le musicologue anglais Hans Keller (1919-1985). Il m’a toujours semblé que la meilleure réponse à ce défi résidait dans le fait qu’il était impossible d’éviter cet attachement dès lors que l’on prend conscience avec honnêteté que, si le compositeur tente d’être absolument nouveau, alors aucune surprise n’est possible.

 

Quels sont vos projets immédiats, à part l’achèvement de l’opéra de Charles Bordes* ?

Après avoir écrit mon second (petit) opéra en un acte, Cosi fanciulli, avec un livret d’Eric-Emmanuel Schmitt mettant en scène, sur une idée de David Stern, les mêmes personnages que Così fan tutte de Mozart, je viens de terminer une nouvelle symphonie, la septième pour grand orchestre, et termine une nouvelle sonate pour violon et piano intitulée Torso que Laurence Koch et Eliane Reyes donneront en création mondiale le 14 février 2015 aux Soirées musicales de Mont-Sur-Marchienne (Charleroi), en Belgique, pays où j’ai élu domicile voilà plus de sept ans maintenant. Un neuvième quatuor à cordes devrait voir le jour l’année prochaine, commande du festival de Quatuors à cordes de Tournai… Si l’opéra de Bordes m’en laisse le temps ! (Sourire)

 

* Pour les détail de son travail sur l’opéra Les Trois Vagues de Charles Bordes, la suite de l’entretien à découvrir le 20 janvier 2015.

 

 

Tours, Novembre 2014

 

 


Deux dernières œuvres de Nicolas Bacri seront présentées en création mondiale dans le cadre du festival « Un beau jour ou peut-être une nuit » au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris (14, rue de Madrid ; Auditorium Landowski) :

20 janvier 2015 à 19 h : Piccolo Concerto Notturno pour alto solo et ensemble d’altos
29 janvier 2015 à 19 h :
A Day (4 images for orchestra)
Entrée libre

4 février 2015 à 20h
Troisième audition en Belgique du Nocturne pour la main gauche op. 104
André de Groote

11 février 2015
Deuxième audition du cycle intégral des QUATRE SAISONS op. 80 (Le Chant du Monde)
par François Leleux, Valery Sokolov, Adrien Lamarca et Sébastien Van Kuijk / Orchestre Victor Hugo – Franche-Comté / Jean-François Verdier
Besançon

27 janvier 2015 à 19h30
Deuxième audition parisienne de Drei romantische Liebesgesänge op. 126 (2012) (Le Chant du Monde)
1.Du meine Seele 2.Suleika 3.Nun hast du mir
Rena Fujii (soprano), Norihiro Motoyama (piano)
“Une précieuse rencontre”, Liens musicaux franco-japonais, Espace Hattori
Bât. Annexe. 10, passage Turquetil 75011 Paris (Au fond de la cour, la porte rouge à droite)
reservations@ccfj-paris.org
http://www.ccfj-paris.org/activites_27_jan_2015.html

14 février 2015
Création mondiale de Torso pour violon et piano op. 138 n°1
Commande de la Communauté Française de Belgique et des Soirées Musicales de Mont-Sur-Marchienne
Laurence Koch / Eliane Reyes
Festival de Mont-Sur-Marchienne, Belgique

27 février 2015
Bagatelle op. 12 pour piano (Edi Pan, Rome)
Fabio Schinazi
Week-end de Musique Contemporaine 2015
Espace Toots, rue Stuckens 125, 1140 Evere, Bruxelles

28 février 2015
Sonate n° 2, pour piano, op. 105 (Durand)
Eliane Reyes
Klimt Villa, Vienne, Autriche
http://www.klimtvilla.at/en/

19 mars 2015
Création en Belgique de Prélude et fugue pour piano, op. 91 (Alphonse Leduc)
Salle académique de l’Université de Liège, Concerts de midi
Liège, Belgique
Eliane Reyes

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