Chargé de recherches CNRS à l’IRCAM et auteur de plusieurs articles et recensions autour de l’improvisation, Clément Canonne nous parle de sa passion pour cette pratique musicale.
Dans votre article, vous avez prix comme exemple le duo Eve Risser (piano) et Joris Rühl (clarinette) : comment avez-vous fait ce choix ?
Je cherchais à comprendre ce qui se passe dans le travail d’un groupe d’improvisation libre, sur le long terme. Il fallait donc que cette étude porte sur un groupe ayant déjà quelques années de vie commune, ce qui est le cas du duo formé par Ève Risser et Joris Rühl.
Je connais ces deux musiciens depuis très longtemps, ce qui a grandement facilité le travail d’observation ethnographique, en éliminant autant que possible la gêne ou l’artificialité qu’il peut y avoir lorsqu’une tierce personne observe votre travail.
Avez-vous été amené à travailler avec ces artistes dans le cadre de votre recherche ?
Oui. À bien des égards, cette recherche a été co-produite avec les deux musiciens. Les nombreuses réflexions dont ils m’ont fait part pendant les séances d’écoute organisées avec eux (j’avais demandé à chacun de réécouter avec moi des improvisations plus ou moins récentes du duo) ont fortement orienté mon travail. Réciproquement, la lecture de mon article a suscité quelques questionnements chez les deux musiciens et il n’est pas impossible que cette recherche influence la suite de leur travail commun !
Comment se déroule une étude sur l’improvisation collective ?
Cet article s’inscrit dans le cadre plus général de mes recherches sur l’improvisation collective. Une partie de mon travail consiste à essayer de comprendre comment des musiciens peuvent improviser ensemble librement, c’est-à-dire sans partir explicitement d’un référent commun, comme peut l’être la grille d’accords pour les jazzmen. Il s’agit là d’un phénomène très complexe, qui fait intervenir un très grand nombre de facteurs et qu’il faut appréhender à différentes échelles de temps.
Dans le temps très court de la performance, on cherche les mécanismes de bas niveaux qui permettent aux musiciens de se coordonner quasi-instantanément les uns avec les autres (par exemple en s’appuyant sur des éléments saillants qui, d’une manière ou d’une autre, à un degré ou à un autre, tranchent avec le contexte musical présent). Dans une collaboration artistique de longue durée, on cherche à comprendre comment l’identité collective, qui se construit implicitement ou explicitement, vient définir le territoire de jeu commun aux musiciens.
De quelle manière, selon vous, le travail collectif devient-il une source d’inspiration en matière d’improvisation ?
C’est l’autre qui peut vous faire sortir de vos plans ou de votre routine, en faisant quelque chose que vous n’aviez pas vraiment anticipé et à laquelle vous devez réagir.
Plus généralement, c’est cette rencontre forcément singulière avec l’autre —et le territoire commun que l’on constitue, plus ou moins difficilement, pour établir la communication — qui est souvent au coeur de l’intérêt de ces musiciens pour la pratique de l’improvisation libre.
Quels sont vos projets ?
En ce moment je m’intéresse à la lutherie des improvisateurs, tous ces instruments et dispositifs préparés, bricolés, assemblés, trouvés, ou créés de toute pièce qu’utilisent certains musiciens. J’essaye de comprendre les logiques qui président à la constitution de ces dispositifs d’improvisation singuliers.
Je poursuis également mes recherches sur l’improvisation collective à travers un projet financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de cerner les modalités de l’action collective spontanée à partir du cas particulier de l’improvisation musicale.
Enfin, dans un avenir un peu plus lointain, j’espère pouvoir développer une recherche sur l’interprétation pianistique, notamment sur la pratique de la désynchronisation, un sujet qui me fascine depuis longtemps.
Le site internet d’Eve Risser
Une biographie de Joris Rühl sur Spatsonore
Une liste des publications de Clément Canonne