Qui n’a jamais rêvé de voyager dans le temps ? Qui n’a jamais un jour imaginé côtoyer la vie musicale du XVIIIe siècle ? C’est en tout cas la sensation que nous a provoqué l’ouverture du 69e festival de musique de Menton, le 28 juillet dernier. Instruments, diapason et décor d’époque.
C’est dans un lieu particulièrement adapté au programme de la soirée – le parvis d’une basilique baroque – que nous avons écouté avec allégresse une succession d’airs d’opéras de Georg Friedrich Händel. Le cadre somptueux, ouvert sur la mer et parsemé de monuments historiques, a introduit un concert riche en émotions.
Bien que le premier rôle des opéras de Händel fût le plus souvent écrit pour le fameux castrat Senesino, près de trois cents ans plus tard, son interprétation a été confiée au non moins célèbre contreténor Philippe Jaroussky. Le lauréat de trois victoires de la musique s’est fait remarquer pour ses vocalises et ses aigus brillants, parfaitement adaptés aux airs de castrats, dont il s’est fait une spécialité. Il était accompagné de la soprano hongroise, Emöke Baráth, dont la carrière pris justement essor lors de son interprétation de Sesto dans Giulio Cesare de … Händel !
L’ensemble de musique ancienne Artaserse, crée en 2002 par Philippe Jaroussky lui-même, venait compléter le tout. Clavecin (interprété par Yoko Nakamura), théorbe (Claire Antonini), viole de gambe (Christine Plubeau) et autres violons d’époque (Alessandro Tampieri) étaient au rendez-vous.
A 21h, les amateurs de musique ont pris place. Le parvis s’est rapidement rempli, tous les sièges étaient occupés. L’atmosphère était bruyante et enjouée, le public impatient. Sous une chaleur intense, des élans d’applaudissements se sont fait remarquer, comme pour appeler les artistes à monter sur scène.



21h45 silence sur le parvis
Face à l’impatience du public, le discours des élus locaux a rapidement laissé place aux grands interprètes. C’est avec l’ouverture à la française d’Ariodante qu’a débuté le spectacle. Dès le départ, les musiciens annoncent le ton : ornements baroques et croches inégales. On découvre un Philippe Jaroussky puissant, qui incarne avec brio les différentes passions du texte, à l’instar de la délicate soprano Emöke Baráth. Les airs s’enchainent et ne se ressemblent pas : les chanteurs-acteurs sont tour à tour amoureux (Ariodante, « Qui d’amor nel suo linguaggio »), furieux (Lotario, « Scherza nel mar la navicella »), ou enclins à la tristesse (Parnasso in festa, « Ho perso il caro ben »).
Devant la chaleur, le vent et l’humidité qui violentent les instruments d’époque, l’ensemble était obligé de se réaccorder après chaque numéro. Un mal pour un bien, puisqu’on savoure pleinement l’interprétation historiquement informée, au plus proche des sons pensés par le compositeur.
Après l’entracte, le spectacle a repris de plus belle avec le duo colérique de Arsamene et de Romilda (Serse). L’audience se délecte alors des gestes expressifs, d’un aspect théâtral plus marqué et de la diction articulée des chanteurs, qui accentuent les consonnes de chaque mot. S’en suit une alternance d’airs de lamentation (Giulio Cesare, « Che sento ? » et de furie (Ariodante, « Scherza infida ») où l’on voit les interprètes incarner leurs personnages aussi bien dans le geste vocal que dans l’attitude : Philippe Jaroussky chante le poing serré, Emöke Baráth quitte la scène de manière frénétique, les deux se lancent des regards tendres … Force est de constater que les deux artistes s’impliquent entièrement dans leurs rôles.



A côté des scènes de folie, on apprécie particulièrement les passages pianissimo a cappella, à peine perceptibles, lors de l’interprétation de l’aria de la soprano Sesto, « L’aure che spira ». Ce déchainement des passions s’est prolongé sur un duo de réjouissances (Ariodante, « Bramo aver mille vite »), au sein duquel les chanteurs ont brillé par leurs ornementations virtuoses. Cette soirée s’est conclue sous les clameurs et les cris de bravo émanant de tous les côtés du parvis, que la troupe a bien pris soin de saluer.
Le programme composé d’œuvres régulièrement montées, comme Giulio Cesare ou Ariodante, associées à des pièces plus rares, à l’instar de Lotario, n’a pas manqué de ravir le public, à en croire les applaudissements chaleureux. Mention spéciale au premier violon, qui a dirigé tout l’ensemble, de gestes et de regards expressifs. Saluons enfin l’ancrage progressif de la musique baroque dans le festival de Menton, répertoire qui fascine toujours plus le public, et souhaitons-le durable.