Le 30 juillet, le Festival de musique de Menton invitait Bertrand Chamayou lors d’une soirée sur le thème du piano romantique. Au programme : transcriptions pour piano d’œuvres vocales et études de haute virtuosité imaginées par l’éminent Franz Liszt. Le temps fort fut l’exécution subtile et transcendantale de Mazeppa, à la fin du concert.
Depuis 69 ans, le Festival de Menton a convié les plus grands interprètes internationaux dans son décor somptueux : Robert Casadessus, Wilhem Kempff, Marguerite Long, Sviatoslav Richter, Isaac Stern, Mstilav Rostropovitch … Il était alors naturel d’accueillir à nouveau l’illustre Bertrand Chamayou, célèbre pour son toucher raffiné, qu’il met au service aussi bien de la musique contemporaine que romantique, tantôt dans le rôle de soliste, tantôt dans celui de chambriste. Si l’artiste était déjà venu se produire au festival en tant que « jeune talent » il y a une quinzaine d’années, il revient ce soir comme « grand interprète ».
Le temps d’une soirée, le musicien a mis à l’honneur les deux aspects majeurs de l’œuvre pianistique de Liszt : la composition et la transcription. Effectivement, parallèlement à la création d’œuvres originales, le compositeur hongrois a adapté avec plus ou moins de liberté, des lieder, des mélodies ou encore des airs d’opéra initialement conçus pour la voix, au piano. Parmi les transcriptions interprétées ce soir, sont proposées les Six chants polonais de Chopin, dont Liszt nous livre une version personnelle, ornée de pirouettes techniques, avec des mélodies chantantes sur des rythmes de mazurka. Au programme également, la transcription de l’air final de l’opéra Tristan et Isolde : Isoldes Liebestod, qui est en revanche beaucoup plus fidèle à la pièce originale puisqu’elle suit totalement les lignes mélodiques de Wagner.
C’est après une agréable promenade le long de la mer que nous arrivons au festival. Nous remarquons que l’intense chaleur n’a pas rebuté le public, venu nombreux pour applaudir le brillant pianiste. L’atmosphère est caniculaire, les spectateurs n’hésitent pas à détourner la fonction première de leurs programmes afin de s’en faire des éventails. Quelques minutes avant son entrée en scène, le nom de Bertrand Chamayou est dans toutes les conversations, l’auditoire s’impatiente.
C’est sur un piano Yamaha tout neuf, fraîchement arrivé de Londres, que notre interprète du jour a ouvert le concert. Le spectacle a commencé par les six chants polonais de Chopin. Dès le départ, le ton est donné : rubato et toucher délicat. On comprend alors que ce récital va pleinement enchanter nos oreilles, mais qu’il sera aussi une merveille pour nos yeux : le parvis où se déroule la soirée est entouré de monuments historiques, agrémentés par une grandiose vue sur la mer.
Le concert se poursuit avec l’exécution de deux des douze lieder de Schumann transcrits par Liszt : Frühlingsnacht et Widmung. On admire la sensibilité et la finesse dont fait preuve le pianiste. On se délecte également des accords finals qu’il laisse en suspension. Schumann est suivi par deux extraits de Parsifal et de Tristan et Isolde de Wagner. L’équilibre entre la mélodie et l’accompagnement est parfait, nous assistons ce soir à un moment privilégié.
Tandis que le piano se fait réaccorder pendant l’entracte, le public se désaltère et en profite pour commenter l’intelligente performance de Chamayou.
Pour la deuxième partie du spectacle, l’interprète réalise l’exploit marathonien d’enchaîner les Douze études d’exécution transcendante. Des aigus brillants, un rubato expressif, une fine palette de nuances, tels sont les termes qui viennent à l’esprit pour qualifier sa performance. Vigoureux et rapide, il s’engage à corps et âme dans son interprétation et fait preuve d’une concentration extrême. L’artiste donne à voir et à entendre un catalogue de techniques acrobatiques qu’il alterne avec des passages méditatifs. Le tout est adroit, assuré et élégant ; le musicien fait preuve d’une remarquable cohérence dans son propos artistique. Avec cette interprétation, Bertrand Chamayou réalise la prouesse de dépasser l’aspect décoratif qu’on attache encore trop souvent à ces pièces. Cette agréable parenthèse musicale se conclut paradoxalement par « Chasse neige », œuvre qui évoque une tempête hivernale, alors qu’à Menton, il fait toujours aussi chaud.