Le Quatuor Koltès aux Musicales d'Assy © Guendalina Flamini
Le Quatuor Koltès aux Musicales d'Assy © Guendalina Flamini

Les Musicales d’Assy : ouverture et audace

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Depuis 3 ans, les Musicales d’Assy font dialoguer les œuvres qui ornent l’Église Notre-Dame-de-Toute-Grâce et la musique, sous la direction artistique de Pauline Klaus. L’édition 2018 a accueilli notamment François-René Duchâble, Daniel Humair et le Quatuor Koltès

 

Quels sont les ingrédients nécessaires pour faire – non pas le portrait d’un oiseau – mais un bon festival ?

Un cadre emblématique chargé d’histoire culturelle. Un ou plusieurs solistes de référence. Un directeur artistique, des musiciens de qualité et des idées ! Force est de constater que les Musicales d’Assy, créées en 2016, réunissent tous les critères, et plus encore !

Tout est né d’une église d’exception : Notre-Dame-de-toute-Grâce du Plateau d’Assy, en Haute-Savoie. Emblématique du mouvement d’entre-deux-guerres de l’Art sacré, l’église émane du souhait du chanoine Devémy, aumônier du sanatorium de Sancellemoz, d’offrir aux malades une véritable église. A l’époque, le plateau d’Assy est connu pour ses établissements sanatoriaux. Ici séjournent Igor Stravinsky et sa famille dès 1936. Confiée à l’architecte savoyard Maurice Novarina, l’église abrite bientôt des œuvres des plus grands artistes de l’époque : de la mosaïque de Léger en façade à la tapisserie de Lurçat qui recouvre le chœur, sans oublier les pièces de Matisse, Chagall, Bonnard, les vitraux de Rouault ou Couturier, le Christ en croix de Germaine Richier.

C’est ce lieu que la jeune violoniste Pauline Klaus a choisi de mettre en valeur en y installant un nouveau festival : Les Musicales d’Assy, où le quatuor Koltès, dont elle est le premier violon, est en résidence chaque année. Servir le lieu et non s’en servir, telle serait sa devise. Le Plateau bénéficie également d’un espace de plein air : le Jardin des cîmes, à vocation culturelle, touristique et pédagogique.

Les Musicales d'Assy © Christophe Maudot
Les Musicales d’Assy © Christophe Maudot

Jazz…

Face au mont Blanc, le petit amphithéâtre de verdure en rondins de bois du Jardin des cîmes accueille un concert de jazz instrumental autour du batteur Daniel Humair. Le trio Modern Art (avec Vincent Lê Quang au saxophone et Stéphane Kérecki à la basse) dialogue avec la peinture du xxe siècle, l’immense batteur étant aussi peintre. D’où son intérêt pour une sculpture de Calder postée dans un tournant de la montée depuis Sallanches (« à la place du super marché, dit-il !) Le public redécouvre Bleu Klein, Pollock, Alechinsky, avec en fond le soleil qui petit à petit se couche sur le mont Blanc. Deux enfants jouent avec un âne… On ne sait pas qui – des artistes ou du public – ce cadre inspire le plus. Gestique et rythmique d’Humair sont toujours exceptionnelles, tandis qu’à ses côtés, ses jeunes comparses rivalisent de virtuosité et de poésie. Une heure et demie d’une ambiance exceptionnelle tant par la musique que par la générosité et le partage entre générations. Partage déjà en fin de matinée, pour un atelier d’improvisation ouvert à tous (Vincent Lê Quang enseigne d’ailleurs l’improvisation générative au Conservatoire de Paris).

Les Musicales d'Assy © Guendalina Flamini
Les Musicales d’Assy © Guendalina Flamini

classique …

Les concerts se succèdent tous les deux jours, la programmation classique se déroulant toujours dans l’église. Cette année, la thématique centrale serait « le tournant de 1918 ». Présenté par le pianiste Sébastien Vichard, le Quintette avec piano de Vierne, composé à la mémoire de son fils mort en 1917, remporte tous les suffrages. Située dans la mouvance de Franck plus que dans celle de Ravel, l’œuvre explore cependant stridence et limites de la tonalité dans des moments qui semblent l’expression de la violence de la guerre ou de la douleur du deuil. Le quatuor Koltès et Sébastien Vichard défendent cette œuvre avec fougue. Ce programme s’était ouvert sur Cloche d’adieu, et un sourire de Tristan Murail. Hommage à Messiaen, cette pièce d’esthétique spectrale s’harmonise parfaitement à la tapisserie de Lurçat.

 

Intitulé Vienne-Paris 1918, le concert du 5 août développe cette thématique tout en révélant mieux encore les orientations d’une programmation qui mêle exigence et accessibilité avec une grande intelligence. Côté Vienne : Mahler, Strauss – Johann et Richard. Côté Paris : Debussy, Waldteufel, Boulez. Le pari semble osé de juxtaposer Boulez et Johann Strauss ! Alexis Galpérine, président d’honneur du festival, donne au public quelques clés : les deux pôles artistiques que sont Paris et Vienne au tournant du siècle, et Boulez comme synthèse entre Schoenberg (dont la Nuit transfigurée a été jouée deux jours plus tôt) et Debussy.

Toujours sur ce même thème, un bref colloque rassemble historienne, écrivaine, musicologue et musicien, cette fois au cinéma du Plateau.

Le festival s’achève en apothéose par un récital exceptionnel du pianiste François-René Duchâble allant de Bach à Liszt, du choral « Que ma joie demeure » aux deux légendes de saint François. Duchâble, qui s’est déjà retiré de la scène officiellement, assemble les pièces comme bon lui semble, par tonalité, par compositeur. Cette liberté, qui fait son bonheur, laisse éclater un talent époustouflant et une générosité sans pareil. Il semble à lui seul résumer l’esprit du festival.

 

…et solidarité

Les Musicales d’Assy développent aussi des concerts solidaires directement issus de leur projet artistique et destinés aux patients des différents établissements de soin (Ehpad des Myrtilles, Clinique de Praz-Coutant et IME de Passy, Ehpad du Val d’Arve à Sallanches), soit en allant vers eux, soit en les accueillant à l’église en assurant leur déplacement. A quoi s’ajoute encore la pédagogie, avec les masterclasses de violon l’Alexis Galpérine.

Cette troisième édition a placé la barre très haut. Souhaitons aux Musicales d’Assy et à sa directrice Pauline Klaus de poursuivre cette voie originale, caractérisée par la jeunesse et le talent des artistes qui s’y produisent, en parfaite harmonie avec le lieu.

 

Musicologue, spécialiste de la musique française du xxe siècle (Roussel, Poulenc, Jolivet, Messiaen), Lucie Kayas est professeur de Culture musicale au Conservatoire de Paris (CNSMDP). Parmi ses publications figurent la biographie de Jolivet (Fayard, 2005), la traduction de celle de Messiaen par N. SImeone et P. Hill (Fayard, 2008) et A bâtons rompus, écrits radiophoniques de F. Poulenc (Actes Sud 1999).

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