Damien Guillon
Damien Guillon © DR

« Trinitatis » : conversation avec Damien Guillon

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Le 16 mars prochain, le contre-ténor et chef d’orchestre Damien Guillon dirigera son ensemble Le Banquet céleste dans un nouveau programme « Trinitatis » à la Cathédrale Sainte-Réparate de Nice. A cette occasion, il répond aux questions de la rédaction de Classicagenda.

Les Moments Musicaux des Alpes-Maritimes présentent des programmes originaux conçus autour de thèmes tirés de la musique sacrée. Pour ce concert du 16 mars vous présenterez un programme de trois cantates de Bach (« Wer sich selbst erhöhet, der soll erniedriget werden » BWV 47, « O Ewigkeit, du Donnerwort » BWV 60 et « Jesu, der du meine Seele » BWV 78). Comment avez-vous choisi ce programme ?

Le temps de la Trinité dans la liturgie protestante est un temps liturgique assez long qui débute après la Fête de la Trinité et se poursuit jusqu’au temps de l’Avent.  Il s’agit d’une longue période de six mois sans grandes fêtes liturgiques majeures où J.S. Bach composa à Leipzig des cantates pour chaque dimanche, utilisant le plus souvent des effectifs instrumentaux modestes.

Cette période a permis à J.S. Bach de planifier avec soin l’écriture de ces cantates, peut-être moins démonstratives que les cantates festives, mais faisant preuve d’une sensibilité et d’un raffinement musical exemplaires.

Les trois cantates choisies pour ce programme l’ont été pour leur diversité d’écriture. Écrites entre 1723 et 1726, elles sont un condensé du génie d’écriture musicale de J.S. Bach. La rhétorique, l’architecture des différents mouvements, la théâtralité exprimée notamment dans la Cantate BWV 60 qui met en scène les deux allégories de la crainte et de l’espérance sont un témoignage de la parfaite maitrise et de l’inventivité extraordinaire dont J.S. Bach fait preuve dans l’écriture de ces cantates. Ces trois cantates ont fait l’objet d’un disque à paraitre fin mars pour le label Alpha Classics.

Comment vous positionnez-vous dans le débat autour du nombre de voix pour chaque partie vocale dans les cantates de Bach ?

Depuis les recherches effectuées par de nombreux musicologues et chefs d’orchestre dans les années 1970, nous en avons appris beaucoup sur les conditions d’exécution des cantates de J.S Bach. Effectivement plusieurs théories s’affrontent notamment sur les effectifs vocaux et instrumentaux utilisés pour les cantates du temps ordinaire, ou des grandes fêtes. Je n’ai pour ma part pas d’avis tranché, et essaie de faire preuve de pragmatisme dans le choix des cantates et des effectifs correspondants. Le programme de ce concert est composé de cantates écrites pour un effectif instrumental assez réduit, J.S. Bach ne fait pas appel aux trompettes et aux timbales comme pour les grandes fêtes et l’écriture vocale permet d’envisager une interprétation à quatre chanteurs solistes sans l’intervention d’un chœur. J’essaie toujours de choisir l’effectif en fonction des cantates que nous allons jouer, et inversement. Les connaissances musicologiques et mon expérience de musicien permettent avec le temps de déterminer si telle œuvre est jouable avec un effectif chambriste ou demande plus de forces musicales. Nous jouerons bientôt les Oratorios de Pâques et de l’Ascension qui réclament un orchestre assez fourni, il me semblerait alors incongru de ne pas faire appel à un chœur simplement pour permettre une balance Chanteurs / Orchestre correcte dans les conditions d’exécution de cette musique aujourd’hui.

Damien Guillon, dans ce concert, vous êtes à la fois chanteur et directeur de l’ensemble le Banquet Céleste. Est-ce que vous consacrez de plus en plus de temps à la direction ?

En effet, j’assure la direction musicale de ce projet en chantant. Cette direction est assez différente de celle du « chef » au pupitre faisant face à l’orchestre.  Je suis dans ce programme un musicien à part entière, et mon rôle est plus celui d’un guide musical durant les répétitions. Je dois à la fois être concentré sur l’ensemble des musiciens pour guider l’avancée du travail, et sur ce que je produis moi-même en tant que chanteur. Le fait de jouer ces cantates dans un effectif « chambriste » permet à chaque musicien de s’exprimer pleinement. C’est, je crois, ce qui crée une cohésion particulière. Au moment du concert, je donne quelques indications de tempi, mais il s’agit de jouer ensemble en confiance.

Cette direction est assez différente de celle du « chef » au pupitre faisant face à l’orchestre.

Néanmoins, pour certaines œuvres qui nécessitent un effectif orchestral et choral, je dirige de manière plus « classique » du pupitre, c’est une manière de faire de la musique très différente puisque je ne produis pas de son moi-même… Mon rôle reste celui d’un guide musical, mais plus l’effectif est nombreux, plus il y a aussi besoin de fédérer les énergies et les différentes approches musicales afin d’emmener l’ensemble des musiciens sur une même voie.

Mon rôle est alors de guider et organiser le travail musical, communiquer à l’orchestre et aux chanteurs ma vision de l’œuvre et être ouvert aux propositions des musiciens afin de construire ensemble une interprétation cohérente.

Quels sont vos prochains projets ?

Les prochains projets seront précisément des projets où je serai à la direction d’orchestre.

En avril, tout d’abord la Brockes Passion de G.P. Telemann :  il s’agit d’une passion écrite sur un livret de B.H. Brockes qui était conseiller municipal de Hambourg au début du XVIIIè siècle. Ce livret très célèbre à son époque fut mis en musique par de nombreux compositeurs, comme Keiser, Haendel, et Telemann qui en a livré une version extrêmement théâtrale et passionnante, faisant appel à un orchestre fourni, un chœur et pas moins de sept rôles solistes, à la manière d’un opéra sacré.

Nous reviendrons ensuite à la musique de J.S. Bach avec les Oratorios de Pâques et de l’Ascension, deux œuvres festives d’une écriture très concertante comme J.S. Bach en avait le secret. Je retrouverai à cette occasion l’équipe de solistes de notre concert niçois et le Chœur Mélisme(s) qui assurera les parties chorales de ces deux projets.

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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