L'Europe, Galerie d'Ovide © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci
L'Europe, Galerie d'Ovide © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci

Festival Sanssouci de Potsdam : plaidoyer pour l’Europe

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Depuis 1991, le Festival Sanssouci de Potsdam amène la musique classique dans des lieux historiques de la ville. Le thème de cette année était l’Europe.

C’est en fin d’après-midi que j’arrive à Potsdam. Malgré une météo peu favorable, je prends le Vélib’ local, moyen de locomotion idéal pour se balader librement et rapidement dans le grand parc de Sanssouci.
Comme chaque année, le festival de Potsdam marie de manière exceptionnelle la musique, l’architecture et l’histoire.

 

Banquet royal

270 mètres de tables blanches sont dressées sous la terrasse de l’Orangerie du Château de Sanssouci. Appelé de manière très appropriée ”Les tables royales”, un picnic musical en plein air attend les festivaliers, agrémenté par la musique de l’ensemble Les musiciens de Saint-Julien (David Greenberg au violon, Lucile Boulanger à la viole de gambe, Eric Bellocq à l’archiluth et au cistre, Marie-Domitille Murez à la harpe triple et François Lazarevitch aux flûtes, à la cornemuse et à la direction).
Par petits groupes, les convives s’installent aux tables et sortent de leurs paniers en osier des boissons et de la nourriture, qu’ils ne manquent pas de partager avec leurs voisins.

Le deuxième ensemble monte sur la scène dressée au milieux du festin en blanc. Quelques gouttes de pluie essaient de perturber ce moment bucolique, mais l’énergie du Trio Macchiato, avec Jana Mishenina au violon et au chant, Jakob Neubauer à l’accordéon et au chant et Henry Altmann à la contrebasse, aux percussions et au chant, leur empêche de nous gâcher le plaisir et invite le public à se rejoindre au milieu pour une danse collective.

Concert de clôture du festival, communs du nouveau Palais de Sanssouci © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci
Concert de clôture du festival, communs du nouveau Palais de Sanssouci © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci

 

Melting-pot

Cette atmosphère conviviale et amicale reflète la devise du festival : Europa. Une devise qui, en gardant à l’esprit l’actualité et l’histoire, fait de Potsdam un lieu plus que convenable pour l’hybridation des cultures. Ville historiquement européenne, elle a accueilli, au fil des siècles, des juifs expulsés d’Autriche, des huguenots persécutés en France et des migrants ”économiques” tels que des Néerlandais, des Suisses, des Flamands, des Bohémiens, des Italiens et des Russes.
En 1945, c’est aux portes de la ville, au Cecilienhof, que s’est tenue la célèbre conférence de Potsdam, à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En ce difficile moment politique, où l’Europe est menacée par les montées nationalistes et par les différends sur la gestion de la crise migratoire, ici à Potsdam 490 artistes venant de 30 pays différents se sont donnés rendez-vous pour mettre à l’honneur l’idée d’Europe, cette idée que Victor Hugo défendait au Congrès de la Paix de 1849 : ”Nous aurons ces grands États-Unis d’Europe, qui couronnent le Vieux monde comme les États-Unis d’Amérique couronnent le Nouveau. Nous aurons l’esprit de conquête transfiguré en esprit de découverte ; nous aurons la généreuse fraternité des nations au lieu de la fraternité féroce des empereurs ; nous aurons la patrie sans la frontière, le budget sans le parasitisme, le commerce sans la douane, la circulation sans la barrière, l’éducation sans l’abrutissement, la jeunesse sans la caserne, le courage sans le combat, la justice sans l’échafaud, la vie sans le meurtre, la forêt sans le tigre, la charrue sans le glaive, la parole sans le bâillon, la conscience sans le joug, la vérité sans le dogme, Dieu sans le prêtre, le ciel sans l’enfer, l’amour sans la haine. L’effroyable ligature de la civilisation sera défaite ; l’isthme affreux qui sépare ces deux mers, Humanité et Félicité, sera coupé. Il y aura sur le monde un flot de lumière. Et qu’est-ce que c’est que toute cette lumière ? C’est la liberté. Et qu’est-ce que c’est que toute cette liberté ? C’est la paix”.

L'Europe galante, Palais de l'Orangerie de Sanssouci © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci
L’Europe galante, Palais de l’Orangerie de Sanssouci © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci

Dans l’Orangerie Sanssouci, L’Europe Galante de Campra est à la fois un rappel et un plaidoyer pour une Europe dont les pays osent regarder au-delà de leurs propres frontières. Avec la musique, la danse et le chant, on raconte une histoire d’amour allant de la France, à l’Italie et de l’Espagne à la Turquie.

Fruit d’une collaboration du festival avec le Centre de musique baroque de Versailles et le Ministère de la Culture de la République Tchèque, ce spectacle a vu sur scène les Folies Françoises, le Collegium Marianum Prague, les Chantres du CMBV et l’Eventail de Marie-Geneviève Massé, compagnie de référence dans la danse baroque.

La soirée se déroule dans une ambiance de fête où le quatrième mur disparaît en faveur de la spontanéité et du partage : les chanteurs et les danseurs virevoltent dans la salle vêtus d’assiettes en carton, de torchons et de post-it, utilisés de manière ingénieuse.
Un narrateur introduit les différents tableaux, en faisant l’effort de parler en allemand, avant de laisser les surtitres prendre le relais.

L'Europe galante, Palais de l'Orangerie de Sanssouci © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci
L’Europe galante, Palais de l’Orangerie de Sanssouci © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci

Le soprano Chantal Santon-Jeffery incarne ses quatre rôles avec grand naturel. On apprécie son expressivité et son humour, ainsi que la souplesse de sa voix. Également très à l’aise est le baryton-basse Douglas Williams, à la voix stable et contrôlée.

Si le vibrato d’Eugénie Lefebvre est parfois excessif, on apprécie son timbre rond et soyeux et la belle projection de sa voix, pendant que l’on remarque le beau legato et la voix puissante et large d’Aaron Sheehan. Armé d’un couvre-chef en buis et d’un tapis volant, Lisandro Abadie est un Bostangi irrésistible et Clément Debieuvre fait preuve d’une voix parfaitement maîtrisée.

 

Salons viennois et feux d’artifice

Des nuages font leur apparition derrière les fenêtres de la salle des fêtes du Palais Lichtenau, en détonnant avec l’ambiance rayonnante de l’intérieur.

Quatre mains dansent une valse de Johannes Brahms sur un piano entouré de motifs floraux peints sur les murs. Les pianistes Guillaume Coppola et Hervé Billault amènent le public en voyage entre Vienne et Budapest, avec les 16 valses pour piano op. 39 de Johannes Brahms et le Divertissement à la hongroise D 818 de Franz Schubert.

Le clavecin des Nations, nouvelles chambres de Sanssouci © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci
Le clavecin des Nations, nouvelles chambres de Sanssouci © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci

Ce concert à l’ambiance privée, qui clôt le cycle des salons européens, après le salon français au Château Glienick, le juif à la villa Truman et le russe au Cecilienhof, se termine avec quatre Danses hongroises de Brahms et un clin d’oeil à la France, par le biais de Laideronnette, Impératrice des Pagodes, tiré de Ma mère l’oye de Ravel.

Couvert de ponchos imperméables, distribués gratuitement par l’équipe du festival, le public a pu assister au concert de clôture en plein air, au programme très européen.

Concert de clôture du festival, communs du nouveau Palais de Sanssouci © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci
Concert de clôture du festival, communs du nouveau Palais de Sanssouci © Stefan Gloede / Festival Potsdam Sanssouci

Sous la baguette d’Antonello Manacorda, le chœur Cantus Domus et la Kammerakademie Potsdam ont présenté la Neuvième de Beethoven et le Te Deum de Charpentier, dont le Prélude a été rendu célèbre en tant que générique de l’Eurovision.

A cause de la pluie, la durée du concert a été réduite tout comme les feux d’artifice, néanmoins, l’envie de revenir l’année prochaine est là, pour découvrir ce que le festival nous proposera sous la devise de “Muses”, thème prévu pour 2019.

 

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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