Pièce en 3 actes et œuvre peu connue, créée à Chambord le 6 octobre 1669 par la troupe de Molière pour divertir le roi Louis XIV, Monsieur de Pourceaugnac pose ses valises jusqu’au 9 juillet 2016 au Théâtre des Bouffes du Nord de Paris.
Pousser la porte du Théâtre des Bouffes du Nord et prendre place dans la salle aux murs nus portant encore les vestiges d’un incendie ravageur, c’est déjà faire un bond dans le temps et plonger dans une histoire lointaine sublimée dans nos oreilles quand dix musiciens prennent place sur le plateau, à jardin, faisant s’élever jusqu’à nous la mélodie de Lully. « Aimons-nous d’une ardeur éternelle » peut-on lire à la craie sur le mur de la maison principale, sous une ancienne publicité pour la Suze, effacée par le temps.
Choc auditif et visuel donc puisque les notes et la scénographie semblent en décalage. Cependant, tout s’imbrique parfaitement au fil de la représentation. Après un début quelque peu fragile voire laborieux, dans une agitation perpétuelle, le rythme trouve le ton juste à l’arrivée de Monsieur de Pourceaugnac et sa prise en charge par ceux qui ne vont cesser de le malmener.
Molière et Lully s’amusent à ne faire plus qu’un de la musique et du théâtre dans cette comédie-ballet non dépourvue d’humour.
Si nous émettons quelques réserves au sujet de Juliette Léger qui incarne une Julie plutôt fade et lisse qui ne permet pas à la charismatique actrice de montrer l’étendue de ses capacités scéniques, en revanche, nous attribuons une mention spéciale à Gilles Privat qui est un Monsieur de Pourceaugnac désemparé et crédule, avec une justesse remarquable. Nous sommes pris d’empathie pour son personnage qui devra affronter un Daniel San Pedro survolté, surjouant à la perfection avec un bel équilibre pour atteindre son but.
Clémence Boué est une envoûtante Nérine. Les faux médecins, avocats ou apothicaire, Cyril Costanzo, Stéphane Facco et Matthieu Lécroart, sont irrésistibles tandis qu’Alain Trétout est un formidable patriarche, donnant du relief au personnage d’Oronte. Acteurs et chanteurs se fondent les uns aux autres pour un mélange des genres et des arts fort réussi. Notons la belle prestation de la soprano Claire Debono dont les jolies couleurs vocales ont su nous séduire d’entrée de jeu.

La scénographie, signée Aurélie Maestre, affiche une dominance de noir, gris et blanc. Des couleurs plus vives sont apportés par les costumes de Caroline de Vivaise, collaboratrice régulière de Patrice Chéreau (qui fera l’objet d’une exposition en novembre 2017 à l’Opéra national de Paris) avec lequel Clément Hervieu-Léger avait également travaillé pour l’opéra Così Fan Tutte de Mozart. D’ailleurs, sa mise en scène énergique laisse transparaitre les influences du « maestro ».
Usant du travestissement et de l’exagération à grand renfort d’accents, de danses, d’intermèdes chantés et de musique, il nous livre une partition sans réelle fausse note, en adéquation avec le talent des musiciens des Arts Florissants dirigés en juin par Paolo Zanzu et en juillet par William Christie lui-même.
Monsieur de Pourceaugnac s’inscrit pleinement dans le genre de la comédie-ballet qui mêle la danse, la musique et le théâtre. Ce mélange des arts est orchestré d’une main de maître par Clément Hervieu-Léger, sociétaire de la Comédie-Française, à la mise en scène, et par William Christie, chef d’orchestre des Arts Florissants, à la direction musicale. Ils célèbrent tous deux avec virtuosité et sensibilité le mariage fougueux entre Molière et Lully au Théâtre des Bouffes du Nord pour notre plus grand plaisir afin de nous offrir un moment troublant et savoureux, s’amusant à conjuguer à l’unisson musique et théâtre jusqu’au dénouement marquant le bonheur et l’harmonie retrouvés.