Piotr Kumon en répétition du rôle-titre de l'opéra Owen Wingrave © E. Bauer / Opéra national de Paris

Owen Wingrave : guerre et paix

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Rarement joué, l’avant-dernier opéra de Benjamin Britten est à découvrir actuellement à l’Amphithéâtre Bastille par les artistes de l’Académie de l’Opéra national de Paris. Conçu en 1971 pour la télévision à l’initiative de la BBC, Owen Wingrave tend à éveiller les consciences avec un subtil plaidoyer pour la liberté dans le but de retrouver la paix, aussi bien intérieure qu’extérieure face à plus que la honte, le déshonneur. A l’issue de la première très prometteuse donnée le samedi 19 novembre, cette production semblait avoir atteint son but.

 

Owen Wingrave est un jeune homme qui a des convictions. Il refuse d’embrasser la carrière militaire qui lui tend les bras, comme ses ancêtres, selon la tradition familiale qu’il est de son devoir de perpétuer : « je méprise la vie de soldat ». Son père, mort sur le champ de bataille, faisait l’admiration de tous et porter l’uniforme à son tour ne pouvait qu’être son unique destinée.

Les jeunes artistes de l’Académie se montrent plus que convaincants dans ce drame humain. Piotr Kumon, annoncé légèrement souffrant en début de représentation, est à la hauteur du rôle-titre. Malgré d’infimes difficultés nasales, il brille au centre de l’amphithéâtre. « Je suis libéré des chaînes de la famille et de la guerre » dit-il avant de s’apercevoir que cette liberté revêt un poids insoutenable. Il n’hésite pas à regarder le public dans les yeux pour le rallier à sa cause pour qu’il se sente concerné. Il en fait le combat de sa vie qu’il achèvera dans la mort. Touchant, fragile, bouleversant, il nous entraîne dans son histoire avec une émotion sincère et empathique d’une intensité fulgurante.
Elisabeth Moussous, invective et autoritaire, injecte dans sa voix tout le poids de son importance au sein de la famille en campant une Miss Wingrave inflexible. Farrah El Dibany est quant à elle une lumineuse Kate Julian, dure en apparence, le regard fermé mais prise de remords tardifs qui seront fatals. Mikhail Timoshenko (Spencer Coyle), Jean-François Marras (Lechmère), Sofija Petrović (Mrs. Coyle), Laure Poissonnier (Mrs. Julian) et Juan de Dios Mateos Segura (Sir Phillip Wingrave) dont la narration a capella d’une légende familiale nous transporte, complètent la distribution convaincante de cette production dont le jeu d’acteur est plutôt bien exploité.

Piotr Kumon en répétition du rôle-titre de l'opéra Owen Wingrave © E. Bauer / Opéra national de Paris
Piotr Kumon en répétition du rôle-titre de l’opéra Owen Wingrave © E. Bauer / Opéra national de Paris

La scénographie dépouillée d’Aedin Cosgrove se compose d’un mur en parpaings avec une porte centrale, celle qui donne sur la chambre hantée, lieu du drame final. Dans la seconde partie, des colonnes surmontées de volatiles puissants occupent le plateau : « La paix n’est pas faible mais forte, comme les ailes qui portent l’oiseau dans les airs ». Par des jeux d’ombres et de lumières, ces vautours rodent et planent au-dessus des protagonistes tels un mauvais présage. L’irlandais Tom Creed, qui fait ici ses débuts en France, orchestre une mise en scène intimiste et dynamique. De nombreuses incursions sont menées dans le public. L’oppression se traduit par les personnages qui se retrouvent cernés de toute part. La famille fond sur Owen provenant de tous les escaliers de l’amphithéâtre et renforce le caractère opprimant de l’œuvre jusqu’au tableau final où, retenant notre souffle, nous découvrons ce qui couvait en latence. Magnifique et dévastateur.

Benjamin Britten était un pacifiste et ne s’en cachait pas. Avec cet opéra, nous retrouvons ses propres convictions à travers notamment le rôle-titre. Pour traiter de ce conflit social et moral sur fond de rébellion, Myfanwy Piper a étoffé la nouvelle fantastique du romancier anglais Henry James, dont nous fêtons cette année le centenaire de sa mort, pour en faire un livret tout en tension et subtilité, traduisant parfaitement l’oppression morale et psychologique des protagonistes. De son côté, le compositeur, qui s’était déjà emparé du Tour d’écrou de l’écrivain britannique, imagine un climat musical tout en rupture qui instaure une pièce dramatique et ce, dès les premières notes. Avec une attaque grave et austère en ouverture, la mise en tension se renforce rapidement notamment grâce à la présence accentuée des cordes. Stephen Higgins, à la direction musicale, est tout d’abord crispé mais se détend progressivement pour trouver le ton juste. L’orchestre, disposé en escalier à cour, se fait discret et accompagne délicieusement la partition de Britten.

Owen Wingrave est une œuvre forte, actuelle et controversée sur le pacifisme et le combat qui perdure entre guerre et paix. Obéir, croire, accepter, comprendre, pardonner sont des verbes qui émergent de cet affrontement des vivants et des morts. Sensible et bouleversante, la version proposée jusqu’au 28 novembre 2016 à l’Amphithéâtre Bastille bouscule les consciences sur le sujet de l’obstination et la force de nos convictions, allant jusqu’à la mort pour faire vivre ce en quoi nous croyons. Entêté, sauvage et triomphant, cet opéra, très accessible, nous confronte au sacrifice, à la culpabilité et aux remords émanant de nos convictions les plus tenaces.

Professeur des écoles le jour, je cours les salles de Paris et d'ailleurs le soir afin de combiner ma passion pour le spectacle vivant et l'écriture, tout en trouvant très souvent refuge dans la musique classique. Tombée dans le théâtre dès mon plus jeune âge en parallèle de l'apprentissage du piano, c'est tout naturellement que je me suis tournée vers l'opéra. A travers mes chroniques, je souhaite partager mes émotions sans prétention mais toujours avec sensibilité.

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