Dans le cadre du week-end dédié aux pianos romantiques, le Festival de Royaumont propose un programme de musique autour de trois pianos d’époque issus de la collection Edwin Beunk
“Qu’entends-je !… un piano
Vient encore frapper mon oreille !…
Quel est cet Amphyon nouveau
Qui va de merveille en merveille ?…
C’est le célèbre Bomtempo,
Du moins favorable instrument
Que les arts avaient fait naître,
Il tire un charme ravissant ;…
Et ses succès nous font connoître
Que tout cède au vœu du talent…”
Depuis 2010 la Fondation Royaumont s’intéresse aux pianos anciens et à l’interprétation historiquement informée, en organisant des formations professionnelles, des ateliers de recherche, des tables rondes et des colloques internationaux, dans le sillage de la démarche baroque.
Ce projet a pu évoluer grâce à la rencontre avec le collectionneur néerlandais Edwin Beunk, qui possède des instruments allant de 1780 à 1870, et qui, depuis 1981, les préserve et entretient de manière authentique.
Organiser des concerts sur des instruments historiques a plusieurs avantages : d’un côté cela permet au public de se plonger dans une vraie atmosphère de concert de salon de l’époque, de l’autre c’est l’occasion pour de jeunes pianistes de réfléchir à une autre manière de jouer et à un autre répertoire. C’est aussi l’opportunité d’explorer un nouvel univers musical, fait de sonorités et nuances inattendues, hors des sentiers battus.
La jeune génération semble adhérer à la démarche de la Fondation Royaumont, qui, depuis le début du programme, a vu 90 pianistes formés dans les meilleurs conservatoires et écoles du monde, venir ici pour travailler sur les instruments anciens.
Paris-Londres : nouvelles capitales du Piano ?
Londres 1820. Le premier concert de ce dimanche au réfectoire des convers a permis la découverte du compositeur portugais João Domingos Bomtempo et de l’italien Muzio Clementi, son confrère et ami, qui publia une grande partie de ses œuvres.
L’interprétation très contemplative de la part de la jeune artiste Laura Fernandéz Granero mène le public dans un salon au début du XIXe siècle, grâce aussi au charme du piano Broadwood & Son (fabriqué à Londres en 1807 et comprenant 5 octaves ½) qui produit une sonorité intime, presque vulnérable, dont on savoure les moindres détails. Notons que la pianiste a suivi des ateliers de formation depuis 2014 à Royaumont, entre autres, auprès de Edoardo Torbianelli, Ulrich Messthaler et Jeanne Roudet.
Dans la deuxième partie du récital, dédié à Beethoven dans les salons parisiens, l’Ensemble Hexaméron a présenté sa Symphonie n° 2 op. 36 en Ré majeur, arrangée par Johann Nepomuk Hummel.
Roldán Bernabé-Carrión au violon, Nicolas Bouils à la flûte, Léa Birnbaum au violoncelle et Luca Montebugnoli au piano (un Lagrassa de l’école viennoise ca.1815) ont donc fait découvrir au public l’éminent talent d’arrangeur de ce “rival” de Beethoven, qui fut disciple de Clementi et de Salieri.
Grâce à cette transcription, mettant en valeur les traits importants de la symphonie, on comprend facilement à quel point les œuvres de Beethoven jouissaient d’une grande popularité auprès des mélomanes du XIXe siècle. Comme on le pratiquait à cette époque, les mouvements de la symphonie sont entrecoupés de pièces de Hérold, Kalkbrenner et Hummel.
Chopin, le chant du violoncelle
Dans un second récital, donné en fin d’après-midi, on retrouve dans le réfectoire des moines le pianiste Edoardo Torbianelli, artiste en résidence à Royaumont jusqu’en 2018, et le violoncelliste Fernando Caida Greco.
Auguste-Joseph Franchomme était un des plus célèbres violoncellistes du XIXe, professeur au Conservatoire de Paris et ami de Chopin. La Sonate sol min op. 65 pour violoncelle et piano de Chopin, qui lui est dédiée, reflète bien leur amitié et leur démarche commune : jouer leur instrument en essayant de se rapprocher du “Bel Canto”. En effet, ces deux musiciens étaient des véritables amoureux de l’art lyrique : Franchomme étant un soliste de l’orchestre du Théâtre Italien, et Chopin un grand passionné d’opéra italien.
On y retrouve également un intérêt pour un son pur et pour un jeu expressif, sans affectation. Et c’est ainsi que joue le pianiste Edoardo Torbianelli, qui, plutôt que de se mettre en avant, s’efforce de soutenir le lyrisme du violoncelle, aidé par la sonorité ronde et relativement puissante du Piano Pleyel de 1842.
On entend donc le chant du violoncelle de Fernando Caida Greco, un Miremont original de 1880, complété par un archet Voirin de 1870, qu’il joue avec raffinement et virtuosité.
« J’ai bien envie de compter au nombre des chanteurs cet excellent Franchomme dont le violoncelle était une voix » écrivait le violoniste Eugène Sauzay dans ses Mémoires.
Quelques œuvres de Franchomme, représentant l’école française du violoncelle et rappelant le langage de son ami pianiste-compositeur, complètent ce charmant dialogue autour de la vocalité et renouvellent notre intérêt pour cette approche innovante et réfléchie au répertoire romantique.