Conversation avec Christian Girault, metteur en scène de Platée et comédien, et Mayuko Karasawa, mezzo-soprano
Le 7 décembre prochain, Les Fêtes Lyriques et l’Ensemble Felicitas présentent Platée, La Grenouille amoureuse au Théâtre de Ranelagh, à Paris. Christian Girault, vous êtes metteur en scène de ce spectacle et tenez le rôle de Momus. Quel est votre parcours ?
Christian Girault (CG) : Je suis comédien de formation, j’ai étudié au Conservatoire National de Région de Nantes, en art dramatique, où j’ai commencé à prendre des cours de chant. Ensuite je suis venu à Paris, ai suivi des cours privés et commencé à travailler en tant que comédien. Parallèlement j’ai continué à suivre des cours de chant. Le XVIIe siècle m’est familier depuis que j’ai joué Le Cid à la Cartoucherie de Vincennes il y a une petite vingtaine d’années. Je suis amoureux du théâtre et de la musique de cette époque.
Et vous, Mayuko Karasawa, qui interprétez Junon ?
Mayuko Karasawa (MK) : Je viens du Japon. Après mes études musicales à Kobe, je suis venue à Paris et j’ai été admise au Conservatoire National Supérieur de Paris (département de chant) où j’ai rencontré William Christie. C’est ainsi que je suis entrée dans le monde du baroque, dans Les Arts Florissants. Parallèlement j’ai poursuivi mes études au CRR de Paris, dans le département de la musique baroque, car à l’époque, il n’y avait pas encore ce département au CNSM… Par la suite j’ai travaillé avec plusieurs chefs spécialisés comme Emmanuelle Haim, Alan Curtis, Christina Pluhar et William Christie.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler ensemble ?
CG : Je connaissais l’ensemble Felicitas et notamment le claveciniste Alexis de Camboulas avec qui j’ai travaillé pour ma compagnie « L’Amour au travail » et sur d’autres spectacles. Après notre collaboration dans deux spectacles d’Alexis où j’étais comédien et récitant mais aussi metteur en scène, l’idée de Platée est née.
MK : J’ai retrouvé, dans un spectacle, Alexis de Camboulas qui était un de mes camarades d’études il y a 20 ans. Il m’a parlé de ce projet qui était déjà en place. Après avoir vu le spectacle, je lui ai proposé de chanter Junon, le rôle tenu alors par Christian, et il l’a accepté. En résumé, nos parcours respectifs autour de la musique baroque se sont rejoints par l’intermédiaire d’Alexis.
Comment avez-vous eu l’idée de créer une version courte de Platée ?
CG : L’Ensemble Felicitas, qui donnait essentiellement des concerts, voulait cette fois-ci monter un opéra. La compagnie était implantée à Massy, la municipalité et l’Opéra de Massy nous ont alors dirigés vers un projet d’action culturelle « un an d’opéra et d’école ». Platée la grenouille amoureuse a finalement été choisi parmi plusieurs candidatures, et nous avons travaillé avec quatre classes de l’école primaire. Cela nous a également permis de créer notre spectacle à l’Opéra de Massy. Tout au long de l’année, les enfants ont étudié sur l’opéra baroque, Rameau et Platée ; ils ont aussi monté leur propre Platée : cent enfants ont chanté eux-mêmes sur scène avec nous, accompagnés de l’Ensemble Felicitas ! C’était une expérience très riche.
Platée était donc conçu dès le début comme un spectacle pour toute la famille ?
CG : En effet. Nous voulions quelque chose qui donne envie à toutes les personnes, sans distinction d’âge, d’aller voir un opéra. Platée en version originale est assez lourde et dense, sans doute assez indigeste pour les enfants. Nous avons souhaité que notre version permettrait les parents d’emmener leurs enfants à voir un véritable opéra, avec de très bons chanteurs et un peu de théâtre ; nous ne voulions surtout pas que ce soit quelque chose de léger avec un peu de chant et des mouvements de qualité moindre sous prétexte que c’était pour les enfants. En testant par différentes manières le spectacle, nous avons constaté qu’à partir de 6 à 7 ans cela fonctionnait merveilleusement. Ils assistent à un opéra mais ils ne se rendent même pas compte que c’est un opéra, et après, ils disent : « C’est génial, un opéra ! » Eh oui, c’est génial, un opéra !
Vous avez raccourci le livret. Comment avez-vous procédé ?
CG : L’ensemble Felicitas a fait tout le travail réduction de la partition, et de mon côté, j’ai adapté le livret pour le réduire à 1h15 avec l’écriture d’un petit texte additionnel au début. Platée est le premier opéra qui soit comique, écrit par un Français. Jusqu’alors, on ne représentait que des tragédies. Donc, dans un grand prologue qui dure quasiment une heure, les auteurs expliquent ce que allait être la comédie dans un opéra, à laquelle le public de l’époque n’était pas du tout habitué. Pour notre spectacle, cette partie n’est pas nécessaire, donc je me suis concentré sur l’intrigue avec les personnages principaux. J’ai trouvé que Momus, avec son titre de dieu de la farce, de la raillerie et de bons mots, est un personnage tout trouvé pour mener les débats, et à la place du prologue, j’ai réécrit un texte de quelques minutes, dit par Momus, pour introduire le spectateur au monde de la mythologie romaine. Nous avons gardé l’essentiel de l’intrigue et les airs principaux. Les coupes concernent surtout des ballets et des parties instrumentales, mais c’est fait de telle manière que les personnes qui connaissent l’opéra ne sont pas du tout déçues ! Seulement, il n’y pas la Folie, mais elle est un peu à part dans l’œuvre, on aurait pu la mettre dans n’importe quel opéra, alors, on s’est dit : « Tant pis ! La Folie, ce sera pour une autre fois ! »
Quels sont les réactions des chanteurs ?
CG : Très positives. Ils sont très contents et tout à fait d’accord avec notre objectif de créer un spectacle d’opéra ouvert à tous, ce qui n’est pas toujours le cas. Nous sommes en train de constituer la troisième distribution de chanteurs, qui sont ravis de participer à ce projet aussi parce qu’il leur permet de travailler leur jeu théâtral de façon beaucoup plus approfondie, ce qui n’est pas toujours offert dans d’autres spectacles quand il s’agit d’une grande équipe.
MK : C’est tout à fait vrai, et j’aime bien travailler de cette façon. En parlant d’ « opéra ouvert à tous », notre Grenouille amoureuse a un aspect « bande dessinée » dans le décors et les accessoires (notamment les marionnettes de Platée, Mercure et Junon) qui sont sympathiques et amusantes, d’autant que les aspects visuels ont toujours été très importants dans cet opéra. Je voudrais ajouter que à l’emplacement actuel du Théâtre de Ranelagh se trouvait un autre théâtre où Rameau a dirigé : c’est donc un lieu idéal pour notre spectacle !
CG : Il y reste des ondes de Rameau ! Pour la suite de notre aventure, nous attendons les dates pour d’éventuelles autres représentations.
Quels sont vos projets futurs ?
CG : En ce moment je suis metteur en scène assistant pour un opéra contemporain intitulé Le Duplicateur qui sera créé le 13 décembre prochain à La Barbacane à Beynes (78), puis le 19 mai à l’Opéra de Massy. Nous jouons également Conférence en forme de poire : Erik Satie vs Wall Street, au Théâtre Clavel à Paris, les jeudis, vendredis et samedis à 19h30 et les dimanches 16h, jusqu’à la fin décembre. Ensuite, au même théâtre, Chant’oupilo ! du 8 janvier au 15 février.
MK : J’anime l’association Les Fêtes Lyriques et je fais aussi des actions pédagogiques. Je poursuis mes concerts autour de Marie-Antoinette avec une harpiste, sujet pour lequel je suis spécialisée. J’anime également un atelier thérapeutique à l’Hôpital de Colombes (92), toujours autour de Marie-Antoinette. Il y aura certainement d’autres spectacles pour les Fêtes Lyriques au Théâtre de Ranelagh, avec lequel nous travaillons beaucoup, mais c’est à venir.