Découvrir les secrets de fabrication de l’orgue et de sa musique, rendre accessible un instrument si peu médiatisé, le tout de manière didactique : telle est la proposition de Radio-France avec sa nouvelle saison de “concert-atelier”, un lundi par mois à l’auditorium, à mi-chemin entre concert et émission de radio. Intitulé “L’orgue, laboratoire du compositeur”, le premier rendez-vous de “La fabrique de l’orgue” accueillait Thomas Lacôte, jeune organiste titulaire du grand orgue de l’église de la Trinité à Paris, compositeur et professeur d’analyse musicale au Conservatoire National Supérieur de Musique (CNSM) de Paris.
Inépuisable source d’inspiration de par sa nature, l’orgue possède une multitude de jeux aux sonorités et timbres différents (87 jeux pour 5320 tuyaux à Radio-France !), et des outils permettant des nuances expressives comme les jalousies disposées en façade de l’orgue (des volets qui s’ouvrent et se ferment pour faire varier le volume sonore). Les différents claviers permettent aussi de combiner les couches sonores et de créer des atmosphères uniques, propres à chaque instrument. De quoi inspirer compositeurs et improvisateurs !
L’orgue Grenzig de la Maison de la Radio, qui servait de support à cet atelier, est doté de deux consoles, l’une mécanique, placée sous l’orgue, l’autre électrique et mobile, située à l’avant-scène. C’est avec cette dernière, à proximité du public, que Thomas Lacôte fit entendre ses illustrations musicales, agrémentées par les questions de Benjamin François, producteur de l’émission Sacrées Musiques. Un format inédit d’une heure, que l’on ne voit pas passer…
Dans ses oeuvres, l’organiste Thomas Lacôte utilise et transforme le matériel sonore. “Je veux donner une autre vision de l’orgue et faire transparaître les sons de l’instrument” assure le compositeur. Pour illustrer cela, l’organiste s’empare de crayons pour bloquer certaines touches en position enfoncée et actionne différents jeux afin de montrer la palette sonore de l’instrument (technique utilisée dans ses Préludes éphémères). Chaque registre est alors actionné tour à tour à l’aide d’un bouton dédié.
Thomas Lacôte, comme beaucoup de compositeurs, porte l’influence de plusieurs écoles. Parmi les musiciens qui ont compté pour lui, citons Ligeti, Grisey, Boulez, ou Messiaen… Ce dernier, illustre prédécesseur du musicien à La Trinité durant 60 ans, fait par ailleurs l’objet d’un important travail de recherche sur son œuvre. En effet, Thomas Lacôte publie des articles sur le sujet dans des revues internationales et prépare actuellement aux éditions Symétrie l’ouvrage Le modèle et l’invention : Olivier Messiaen et la technique de l’emprunt, fruit notamment de longues recherches aux côtés de Yves Balmer et Christopher Murray. Dans le livre, les auteurs examinent la technique « d’emprunts et de prisme déformant » utilisée par Messiaen, selon les mots utilisés par le compositeur dans sa Technique de mon langage musical.
Pour cet atelier, deux extraits de la Messe de la Pentecôte d’Olivier Messiaen figuraient au programme, “un résumé de toutes mes improvisations réunies” affirmait le compositeur.
Dans ses propres pièces, outre une liberté rythmique, Lacôte introduit aussi une dimension pédagogique, à l’instar de ses Préludes éphémères, où les changements de jeu sont plus nombreux que les notes ! Des pièces simples, mais difficiles à écrire… où l’auditeur est pris par la main (ou plutôt par l’oreille!). Thomas Lacôte nous a donc joué deux de ses Préludes éphémères et son Etude de transparence pour orgue à quatre mains (avec la participation de Thomas Ospital, organiste en résidence à Radio-France). Une pièce typiquement organistique avec des reflets brillants et mats, comportant des changements de couleurs saisissants. En utilisant les volets mobiles en façade, actionnés par les pédales de la console, les deux organistes effectuent de véritables fondus enchaînés entre les sons, produisant ainsi de puissantes vagues sonores. Un enchantement pour les oreilles et les yeux ! Dans cette pièce, qui met ainsi en relief les spécificités du roi des instruments, la partition incarne un souffle musical, au sens figuré comme au sens propre, comme dans ce passage où l’orgue chuchoterait presque à l’oreille des auditeurs. “L’orgue de Radio-France est neuf et il lui faut une musique à la hauteur des innovations” soutient Thomas Lacôte.
Alors, comment notre organiste trouve-t-il l’inspiration ? “Je compose en pleine pâte, avec les sons sous la main, je fais des allers-retours entre l’orgue et la partition, une idée musicale peut naître d’une sonorité poursuit Thomas. On se crée un cadre d’improvisation, avec ou sans public, et de là peuvent venir des idées. L’inspiration n’arrive pas forcément à froid.” Si l’on voulait synthétiser la démarche de Thomas Lacôte, ses compositions donnent une aura poétique à des sonorités afin de transcender l’écoute traditionnelle.
Pour conclure, le musicien proposait une improvisation à la console mécanique (située en hauteur), afin d’être en contact direct avec l’instrument. Un art cher aux organistes, particulièrement usité durant les Offertoires des offices religieux, et qui n’est évidemment pas sans rapport avec l’écriture.
L’improvisation, qui résume parfaitement les thèmes évoqués dans ce concert-atelier, est à retrouver en podcast dans l’émission Sacrées musiques du 20 novembre 2016 présentée par Benjamin François.