De nos jours, le nom de Johann Strauss II est davantage associé au compositeur de valses, polkas, marches et quadrilles très utilisées pour les concerts du Nouvel An, qu’à ses opérettes. Il en a pourtant écrit une dizaine, dont la plus célèbre demeure encore aujourd’hui La Chauve-Souris. A l’approche des fêtes de fin d’année, Une Nuit à Venise a été choisie pour être interprétée à l’Opéra de Lyon.
Avec Franz Lehár, Johann Strauss II est un des grands représentants de l’opérette viennoise au XIXe siècle. C’est sur les conseils d’Offenbach, qu’il rencontra en 1860, que Strauss commença à écrire dans ce genre musical. Toutefois le déclin de l’opérette française a favorisé l’essor des pièces lyriques de Strauss, dont le succès procède largement d’une évolution de style, très bien illustrée par Une Nuit à Venise.
En 1882, Johann Strauss reçoit une commande du Neues Friedrich-Wilhelm-Städtisches Theater de Berlin pour une opérette. De cette demande naîtra Une Nuit à Venise qui fût créée le 3 octobre 1883 à Vienne puis à Berlin sous la direction du compositeur.
Malgré la bonne volonté de Strauss, cette opérette en trois actes n’eut qu’un maigre succès, surtout à cause du médiocre livret de Friedrich Zell et Richard Genée, qui s’étaient inspirés de la pièce Le Château Trompette de François-Auguste Gevaert. En 1923, le compositeur Erich-Wolfgang Korngold et le littérateur, scénariste et réalisateur Ernst Marischka revisitèrent la pièce, et c’est cette version qui a été donnée à Lyon ce 21 décembre 2016.
Au lever du rideau, pendant le prologue, le duc Guido, bien que récalcitrant, ne peut s’empêcher d’aller “une nuit à Venise”. Alors que le premier acte commence, le cuisinier Pappacoda entre en scène et se dispute avec Ciboletta, bonne du sénateur Delacqua, dont il est amoureux. Le barbier Caramello et la marchande de poissons Annina en font de même, en attendant l’arrivée presque imminente du Duc.
Pendant ce temps, les trois sénateurs de sa seigneurie (Testaccio, Barbaruccio et Delacqua) convoitent la place d’intendant du palais. Connaissant les pouvoirs de séduction de leur souverain, ils décident de ne pas emmener leurs femmes à l’invitation au Carnaval lancée par le Duc.
L’intrigue se poursuit par un échange de rôles des personnages : apprenant que le duc a l’intention de passer la nuit avec elle, Barbara demande à Annina de la remplacer. Cette dernière se fait alors conduire en gondole au palais ducal à Murano par Caramello, qui a tenu à l’accompagner.
Le deuxième acte se joue dans le palais ducal où le duc attend avec impatience Caramello. Contrairement à ce que pensait ce seigneur, c’est une troupe de dames qui vient d’abord le visiter, à confirmer que la fidélité n’est pas une qualité du Duc. Caramello, qui craint les réactions de ce seigneur avec celle qu’il croit être Barbara, arrive au palais. Après une première substitution de rôles des personnages, le sénateur Delacqua entre à son tour pour présenter au Duc sa soi-disante épouse Barbara, qu est en réalité Ciboletta. Annina et Ciboletta se reconnaissent et décident de tenir respectivement les rôles de Barbara et de sa bonne.
Le dernier acte a lieu sur la place Saint Marc et est placé sous le signe de la réconciliation. Après un moment agité chez le Duc, Ciboletta retrouve Pappacoda qui lui promet le mariage. Quant à Caramello, il est nommé intendant en récompense des services rendus au duc. De plus, il retrouve sa bien-aimée Annina.
Emmenées par la voix suave et harmonieuse de Lothar Ondinius (Duc Guido), les trois sopranos (Evelin Novak, Caroline MacPhie et Jasmina Sakr, respectivement dans les rôles d’Annina, Barbara et Ciboletta) se laissent séduire par le Duc, pendant que les mélodies profondes entonnées par les ténors (Matthias Klink, Jeffrey Treganza et Bonko Karadjov, pour les rôles de Caramello, Pappacoda et Enrico) mettent en avant le texte dans sa subtilité.
Les chanteurs sont aussi amenés à jouer de certains instruments au début des actes, ou même à interpréter des actions au milieu du public, qui reste fasciné par ces initiatives théâtrales. Une petite perle se trouve au dernier acte : les mélomanes ont peut-être reconnu le l’Annen-polka op. 117, écrite en 1852 et dédiée à Marie-Anne, impératrice d’Autriche.
“Venise est un lieu mythique, un des plus beaux endroits du monde” selon le metteur en scène Peter Langdal. Ce dernier a travaillé en étroite collaboration avec le décorateur Ashley Martin-Davies pour offrir aux spectateurs une soirée divertissante. Pour plaire au public, les deux artistes ont imaginé un décor aux couleurs vives et chatoyantes pour faire ressortir l’esprit de fête et de Carnaval et ont imaginé des canaux et des ponts colorés que les interprètes ont su enjamber avec beaucoup de grâce et d’agilité. Karin Betz, qui s’est chargée des costumes, a ramené le spectateur aux années 50 avec des habits éclatants.
L’orchestration de Strauss a mis en avant des instruments insolites, comme les mandolines, en montrant ses talents d’orchestrateur et dévoilant sa passion pour la musique légère. A la tête de l’orchestre et des choeurs de l’Opéra de Lyon, le jeune chef italien Daniele Rustioni a assuré une direction convaincante, chaudement applaudie par un public conquis. Nous le retrouverons à Lyon très prochainement, car à partir de 2017, il sera le principal directeur de cette importante phalange musicale.
Grâce à cette production appropriée au moment des fêtes, le public a découvert une autre facette de l’un des pionniers de la valse viennoise. Et pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’entendre cette œuvre, il sera toujours possible de la réécouter ultérieurement sur France Musique.