Anja Harteros © Markus Tedeskino
Anja Harteros © Markus Tedeskino

Anja Harteros au Palais Garnier : lied d’excellence

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Au début de la saison 16-17 de l’Opéra national de Paris, Anja Harteros fut une divine Tosca à Bastille et le public lui avait réservé un accueil triomphal, conquis par sa sublime interprétation de l’œuvre de Puccini. Après des représentations de Tannhauser à Munich, celle qui se fait rare dans la capitale française offrait, ce dimanche 18 juin au Palais Garnier, un récital de lieder homogène et maîtrisé, proche de la perfection. Sans aucun artifice, celle qui est parmi les plus belles voix lyriques actuelles était accompagnée au piano par l’excellent Wolfram Rieger, impressionnant de précision dans chaque conclusion. Retour sur une éblouissante soirée.

Jupe longue et noire, haut blanc et froufroutant, Anja Harteros s’est présentée au public de Garnier avec le raffinement d’une diva, les excès et la prétention en moins. Avant même de faire entendre les premières notes d’un alléchant programme, la Soprano allemande respire une humanité et une sensibilité exemplaires, ce qui se vérifiera aisément tout au long de la soirée. La première des quatre parties du récital était consacrée à Franz Schubert et débute par une forme strophique, simple et répétitive. La diction est claire, limpide, faisant claquer la dureté de certaines sonorités germaniques, tandis que le chant se veut fluide et aisé. Sourire enjoué, appuyée contre le piano noir, Anja Harteros est expressive à souhait. Puissance et intensité se font évidence. Sa présence majestueuse donne vie au lied, art qui requiert une incarnation justement dosée, entre évocation et description, légèreté et profondeur. Sa voix est flamboyante, nuancée, merveilleuse. Les contrastes voulus par Schubert sont mis en relief, sans pour autant être trop appuyés. Son Schwanengesang est bouleversant, avec un piano atténué qui laisse tout l’espace à l’émotion et à la puissance vocale dont le souffle est comparable à celui d’une brise légère au clair de lune. Wolfram Rieger, précautionneux et délicat, caresse le clavier, accompagne la cantatrice sans jamais passer en force. Les marteaux de l’instrument effleurent les cordes dans une beauté lyrique suspendue tandis que résonne déjà Im Haine, permettant d’élargir davantage la palette vocale de la soprano au timbre clair comme l’eau d’une fontaine au printemps. Après une entrée en matière dans la douceur, Schubert a cédé la place à Robert Schumann et à son romantisme scintillant. Nous plongeons avec délectation dans la profondeur des sentiments et la pureté de la voix d’Anja Harteros qui tient parfaitement les notes, se promenant autour de beaux graves et d’aigus flottants. La projection de l’ensemble est idéale et le public, captivé, retient son souffle dans un infime frémissement. Les mots se déploient, comme sculptés dans le miel. Un auditeur ose un « bravo », s’attire les foudres de ses voisins qui le fustigent d’avoir troublé un Stille Tränen comme suspendu. La soprano poursuit son programme après un chut inaudible, le doigt sur la bouche, et fait alors exister les peines et les joies sur ses lèvres en les envoyant vers le public pour qu’elles viennent s’échouer au bord de notre cœur dans une sensibilité à fleur de peau. Simplicité et accessibilité étaient à l’œuvre pour cette partie qui a été saluée par de longs et chaleureux applaudissements.
Après l’entracte, place aux Lieder d’Alban Berg, œuvres de jeunesse qui prennent leur source dans les thèmes du romantisme allemand tels que la nuit (Nacht), l’amour (Liebesode) ou la nature (Sommertage). La sensualité du chant se renforce tandis que le piano déploient ses notes par une partition quasi symphonique dans sa construction flamboyante. Anja Harteros resplendit comme dans un rêve venu apaiser des pensées douloureuses. Sa voix se répand dans toute la salle malgré l’évocation de la tristesse d’une solitude que rien n’efface. Gracieuse, elle absorbe chaque émotion pour mieux nous la retranscrire. Son Die Nachtigall est sublime de par un doux chant qui s’évapore. Tout n’est qu’élégance et splendeur. Rêve merveilleux où rêve d’ivresse, les Lieder de Berg sont comme une couronne d’étoiles suspendue au plafond du Palais Garnier, comme une offrande divine qui nous submerge d’un bonheur muet que les mots semblent presque affaiblir avant de relever le caractère enchanteur du récital. Pour clore en beauté la soirée, le programme glissait vers Richard Strauss. Dès les premières notes d’Allerseelen, avec une éblouissante introduction instrumentale, Anja Harteros nous parle d’amour d’une voix suppliante, bouleversante. C’est une véritable bénédiction pour l’ouïe. Meine Kinde, proche de la berceuse, a malheureusement vu sa beauté d’exécution entachée par un sifflement persistant alors que la soprano semblait être en apnée. Le charme est rompu à deux reprises mais fort heureusement, le trio gagnant voix-texte-musique a su s’imposer pour nous laisser un souvenir impérissable. La partition de Cäcilie est alors un véritable feu d’artifice, brûlant et explosif, qui achève un récital magnifique, attisant à nouveau notre envie irrépressible d’entendre la soprano dans un autre registre, la saison prochaine, avec Un bal masqué de Verdi, à l’Opéra national de Paris.
Ce programme de Lieder touche à l’excellence et au raffinement sublimé. Il ne pouvait se terminer sans la même cohésion que celle de cette soirée. C’est donc pas moins de trois « bis » qu’Anja Harteros a laissé en cadeau à son public, subjugué. Incandescente, passionnée et intense, elle a dévoilé un chant riche en nuances, contrastes et subtilités, qui a su trouver son apothéose dans le Zueignung de Strauss. Le lied nous a chamboulés, bouleversés et serait capable de faire aimer le lyrique à n’importe quel réfractaire de cet art rigoureux. En revenant pour Du bist wie eine Blume de Schumann, sur un texte que l’on doit à Heine, la soprano allemande a fait preuve d’envolées fabuleuses, éteintes avec délicatesse dans un calme olympien, ce qui a déclenché un tonnerre d’applaudissements sous une pluie de « bravo » enthousiasmés. Enfin, le désir s’est embrasé avec Seligkeit de Schubert, susurré dans une tonalité de confidence amicale, promesse tacite d’un rendez-vous à honorer prochainement.

Professeur des écoles le jour, je cours les salles de Paris et d'ailleurs le soir afin de combiner ma passion pour le spectacle vivant et l'écriture, tout en trouvant très souvent refuge dans la musique classique. Tombée dans le théâtre dès mon plus jeune âge en parallèle de l'apprentissage du piano, c'est tout naturellement que je me suis tournée vers l'opéra. A travers mes chroniques, je souhaite partager mes émotions sans prétention mais toujours avec sensibilité.

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