La Bohème
La Bohème © Opéra en plein air

La Bohème par Attali et Bilal : un drame universel accentué par les inégalités sociales

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Nous avons testé l’opéra en plein air, dans la cour de l’hôtel des Invalides. Retour sur “La Bohème” vue par Jacques Attali et Enki Bilal.

 

Les mains de Mimi et de Rodolfo s’effleurent rapidement, devant la façade sud de l’hôtel des Invalides.
Une lumière rouge se réfléchit sur leurs visages congestionnés et l’or de la coupole éclaircit la froide nuit de Noël.

Les deux jeunes viennent de se rencontrer pour la première fois, ils se présentent, ils sympathisent, mais gardent une distance physique. L’un en face de l’autre, ils sont séparés par une barrière imaginaire qu’ils n’osent pas franchir.
Peut être cela est-il une métaphore de leur destin, une prémonition de leur brève rencontre et de leur séparation, de la fin tragique qui attend Mimi. Ce destin inéluctable auquel on espère qu’elle échappera, pour une fois, comme on le souhaite à Violetta, à Mario, à Siegmund et Sieglinde…
Malheureusement, leur sort ne dépend pas d’eux mais de leur situation : Mimi est pauvre, Mario est soumis au pouvoir de Scarpia, comme les enfants de Völsung le sont aux lois des Dieux.

Amour, chagrin, passion, espérance.
On peut lire ces mots sur des affiches au milieu de la foule du deuxième acte, pendant que les enfants (interprétés par le Choeur d’enfants de l’Opéra National de Paris et la Maîtrise des Hauts-de-Seine) se laissent ensorceler par les jouets de Perpignol, ici un sinistre clown symbolisant le destin.

La Bohème © Opéra en plein air
La Bohème © Opéra en plein air

En effet cette Bohème en plein air, vue par Attali et Bilal montre la réalité sociale autour des protagonistes.
La scénographie est construite en étages, en bas se situent les lieux publics : la rue, les cafés, la place ; à l’étage noble de l’immeuble il y a un appartement aristocratique, avec ses miroirs, ses chandeliers dorés et ses invités bien habillés, une coupe de champagne à la main. Ensuite on trouve les bourgeois, ceux qui se sont enrichis en faisant des affaires, comme le propriétaire de la mansarde, cupide mais pas très malin. Au dernier étage il y a un dernier logement, servi par un escalier secondaire et dont les toilettes se trouvent sur le palier : l’appartement des plus pauvres.
C’est ici, où il fait trop chaud l’été et trop froid l’hiver, que se trouvent les bohémiens, ces jeunes qui (sur)vivent d’art et d’espoir. Qui savourent la vie, pleinement, sans se soucier du lendemain.

À cet étage vivent aussi les grisettes, comme Mimi — et Musetta avant de monter l’échelle sociale grâce à ses amants.
Ces femmes sont grises comme leurs habits, leurs vies, leurs destins. Seules, elles viennent dans la ville pour y travailler, pour trouver le bonheur, le coeur plein “des rêves et des chimères, toutes ces choses que l’on nomme poésie”.

Mais cette ville n’est plus Paris, c’est n’importe quelle ville dans le monde. Ses cafés, comme le Momus – magnifiquement rendus par quelques tables et chaises, un néon et des effets de lumières – sont les cafés de n’importe où.

Parmi les chanteurs, qui dans cette Bohème amplifiée sont malheureusement amenés à forcer leur émission, nous remarquerons l’expressif Jean-Kristof Bouton (Marcello) et la pétillante Olivia Doray, aux aigus pleins de légèreté, qui nous livre une Musetta désinvolte, qui mène par le bout du nez tous ses amants.

Ce décor si simple, car destiné à voyager et à s’adapter à des lieux très différents, est véritablement magnifié par les lumières créées par Jacques Rouveyrollis, qui emplissent de signifiant chaque épisode de ce drame universel. Nous avons tout particulièrement apprécié le contraste entre l’orange des réflecteurs orientés sur Musetta et la lumière bleue derrière elle, dessinant les inquiétantes silhouettes des militaires, qui se préparaient pour la scène de la Barrière d’Enfer.

Malgré les problèmes que peut poser la représentation d’un opéra en plein air, le plus sérieux étant l’acoustique, peut-on se plaindre, dans une nuit d’été, d’avoir comme plafond un ciel étoilé et comme écrin un de nos enviables monuments nationaux ?

 

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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