Bruno Philippe et Tanguy de Williencourt © DR
Bruno Philippe et Tanguy de Williencourt © DR

Bruno Philippe et Tanguy de Williencourt : comment jouer à deux ?

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Bruno Philippe (violoncelle) et Tanguy de Williencourt (piano), lauréats de la Fondation Banque Populaire, ont accepté de me rencontrer. Nous sommes revenus sur leur concert à la Salle Gaveau le 15 octobre dernier, ainsi que sur leur premier enregistrement où ils abordent déjà les pièces majeures du répertoire. Nous avons discuté de la manière dont on travaille ensemble quand on joue en formation sonate (piano et soliste), et comment la conjonction de deux caractères contrastés permet de dépasser les obstacles inévitablement rencontrés dans l’interprétation à deux.

 

Le concert s’est bien passé ?

B.P. : Oui, le public était content et nombreux. Nous étions d’ailleurs étonnés : Gaveau est une salle compliquée à remplir, à cause de sa position géographique. Mais c’est vrai que depuis l’ouverture de la Philharmonie, une partie du public de Pleyel se tourne vers Gaveau.

T. de W. : L’acoustique est superbe…

B.P. : Et l’ambiance, très chaleureuse : c’était l’un de nos premiers gros concerts à Paris, donc il y avait beaucoup d’amis dans la salle et une grande bienveillance générale.

 

Comment vous êtes-vous connus ? Par la Fondation Banque Populaire ou au cours de vos études ?

T. de W. : Nous nous sommes rencontrés il y a quatre ans, au CNSM [Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris], nous faisions un peu de musique de chambre entre nous.

B.P. : Je devais passer un concours à Toulouse, et ma pianiste a eu une tendinite trois semaines avant. C’était quand même un gros programme de récital pour violoncelle. Et le seul fou à avoir accepté de faire le projet, après vingt-quatre heures de réflexion, c’était Tanguy, qui en plus n’avait jamais joué ce programme… On s’est extrêmement bien entendus, et je me suis dit : « Celui-là, je ne le lâche plus ! »

 

Le programme du concert salle Gaveau, vous l’avez vous-mêmes construit ?

T. de W. : La première partie est surtout issue de notre disque Schumann et Brahms. Quant à la deuxième partie, nous voulions jouer Fauré et Prokofiev.

 

Schumann, Brahms, Fauré, Prokofiev… Ce n’est pas si osé, si ?

B.P. : Au contraire ! C’est très osé de ne faire que des grandes pièces du répertoire pour un premier disque… On aurait pu choisir de se présenter avec des pièces moins connues, ce qui serait bien passé auprès du public, avec moins d’éléments de comparaison. Alors oui, effectivement, il y a moins de raisons d’enregistrer ces quatre compositeurs : il y a déjà des centaines d’enregistrements de ces œuvres, et par des artistes qui l’ont sans doute fait bien mieux que nous. Mais je trouvais original de présenter au public des pièces qui nous tiennent à cœur : nous sommes quasiment rencontrés sur ce programme, nous l’avions déjà beaucoup joué, ce qui nous a donné un bagage suffisant pour être crédibles.

 

Pour le disque, avez-vous passé du temps en post-production à faire des points de montage 

T. de W. : Nous avons passé quelques jours avec l’ingénieur son après l’enregistrement, mais nous voulions vraiment privilégier les longues séquences, plutôt que multiplier les raccords et les points de montage.

B.P. : L’enregistrement est un exercice un peu ingrat. Mais par chance, comme nous avons eu à envoyer beaucoup de maquettes pour s’inscrire à des concours, nous avions l’expérience de cet exercice, radicalement opposé au côté “magie de l’instant” que représente le concert. D’ailleurs, il n’est pas rare de constater, en réécoutant l’enregistrement d’un concert, qu’un passage qui nous a semblé fabuleux sur l’instant était absolument nul !

T. de W. : Et inversement, d’ailleurs…

B.P. : Pour cet enregistrement, nous avons cherché à enregistrer de longues séquences pour éviter un certain côté clinique, parfait. Il n’y a pas tant de patches que ça, par rapport à d’autres projets de disque auxquels j’ai eu l’occasion de participer. Cela devient une manie de la perfection, mais c’est aussi la société qui le veut : aujourd’hui, on trouve dans la presse beaucoup de critiques sur la justesse ou la mise en place. La tentation est d’éviter de multiplier les passages pas très nets ; mais une fois que c’est gravé, ça reste. L’enjeu est d’enregistrer une musique très vivante sur un support figé.

 

Et pour préparer ce programme, comment répétez-vous ?

T. de W. : Le tout c’est de jouer, de jouer, de jouer. On essaie de se connaître par le jeu, sans trop parler, justement. Parler ne ferait que créer des interférences. Comme en direction d’orchestre d’ailleurs : l’important est de beaucoup filer, beaucoup enchaîner, pour qu’un maximum de choses se mettent en place, sans avoir besoin de gloser. Le rendu final n’est pas une thèse sur l’œuvre, même s’il est nécessaire de fixer quand même certaines choses.

B.P. : L’avantage, c’est que nous sommes assez complémentaires : Tanguy m’apporte énormément. Il a un cursus différent du mien, avec notamment des études de direction d’orchestre. Il entend tout, il a une vision très harmonique des choses. C’est très enrichissant parce qu’il a un côté plus intellectuel qui permet de tempérer mes ardeurs quand je commence à faire n’importe quoi…

T. de W. : Oui, et les pianistes ont aussi, par leur côté cérébral, ce danger de se déconnecter de l’instant. Penser avoir compris l’œuvre analytiquement n’est pas l’essentiel. Jouer avec des instrumentistes à cordes permet de se reconnecter tout de suite avec l’instant et permet de comprendre qu’il faut être dans un flux. La formation en sonate (piano et soliste) permet un va-et-vient très productif dans le travail.

 

Pas de désaccords majeurs sur l’interprétation, donc ?

B.P. : Pas de désaccords majeurs, non, mais ponctuellement des divergences. Et heureusement. C’est surtout humainement que les choses se jouent. Si le rapport humain fonctionne, l’interprétation se met en place toute seule de façon harmonieuse.

T. de W. : Dans cet enregistrement, il s’agit du répertoire romantique allemand. L’écriture pour piano et violoncelle est donc très complémentaire. Il n’y a jamais de conflit, parce que les instruments sont très imbriqués, notamment chez Brahms. Il y a un dialogue qui naît naturellement.

B.P. : Depuis Beethoven, de toute façon, les parties sont égales. Le piano n’a plus de rôle d’accompagnement. Le pianiste a un rôle difficile dans Brahms : la partition est extrêmement chargée dans le grave et le médium, alors que pour le violoncelle, la partition est écrite dans la tessiture qui sonne parfaitement pour l’instrument, c’est-à-dire dans l’aigu. C’est ce qui peut poser des problèmes au niveau de l’équilibre d’ailleurs.

T. de W. : On dit d’ailleurs que Brahms au piano couvrait allègrement ses collègues violoncellistes !

 

Qu’ajoutez-vous à ce répertoire déjà beaucoup enregistré ?

B.P. et T. de W. : Mais rien !

B.P. : D’abord, c’est une musique qui se défend très bien toute seule. Et puis l’exercice du disque est de toute façon un plaisir très égoïste. Nous ajoutons un enregistrement de plus dans une liste, en quelque sorte. Mais c’est une envie personnelle de servir le compositeur du mieux qu’on peut. Et on espère qu’on l’a fait ! [rires]

T. de W. : Sans pour autant jouer à l’instinct, il n’y a pas de stratégie d’insuffler de nouvelles choses.

 

J’imagine que si vous enregistrez ce même répertoire une deuxième fois, cela n’aura rien à voir ?

T. de W. : Déjà, quand on réécoute aujourd’hui l’enregistrement, qui date d’un an maintenant, on se dit qu’on ferait les choses différemment, ce qui est plutôt bon signe…

B.P. : Ceci dit, cela m’est déjà arrivé de lire la critique d’un concert dans laquelle l’auteur se plaignait que l’artiste ne jouait pas conformément à son disque !

 

Comment vous aide la Fondation ?

B.P. : Le soutien de la Fondation Banque Populaire nous permet financièrement de préparer des concours dans des conditions optimales, de couvrir les frais de déplacements, sans se soucier de devoir boucler les fins de mois avec des petits concerts. Elle nous permet également de rencontrer de grands professeurs : nous sommes allés plusieurs fois à Salzbourg pour cette raison. Nous avons beau vanter les mérites du système du mécénat en Allemagne, une structure comme la Fondation de la Banque Populaire est unique en Europe ! Beaucoup d’étudiants étrangers viennent étudier en France avec cela en tête, d’ailleurs.

 

Un petit mot pour les futurs musiciens ?

B.P. : Sans prétention aucune : quelle que soit la situation du musicien dans sa carrière, qu’il débute ou qu’il commence à rencontrer du succès, il faut garder à l’esprit que nous ne sommes pas grand-chose face à la musique. Nous faisons peut-être le plus beau métier du monde, mais il faut la servir du mieux que l’on peut. L’égo permet de faire de grandes choses, mais il faut aussi savoir se confronter à la beauté et à la grandeur de la musique.

T. de W. : Pendant les études, il ne faut pas chercher à se mesurer aux autres musiciens. Il faut garder son propre regard sur chaque œuvre, avoir sa propre histoire, ne pas chercher à copier. Il ne faut pas s’enfermer dans la pensée d’une version parfaite, qui dépasse la volonté de coller à des écoles, sinon c’est la mort de la musique classique.

 

Pour en savoir plus sur la Fondation Banque Populaire

Le site de la Fondation Banque Populaire

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