Robert et Clara Schumann
Robert et Clara Schumann

Clara, épouse consacrée, femme niée

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Difficile de passer à côté, en ce dimanche ensoleillé et chaud qui donne envie à chacune de sortir court vêtue quel que soit son féminisme affiché : c’est la journée de la femme !

Oui, la Journée internationale des droits de la femme est systématiquement galvaudée (par galanterie sûrement) en Journée de la femme. Mais après tout, oh, que peut-on refuser au sexe faible ? Pas une journée, en tout cas !, pendant laquelle médias, politiques et collègues condescendants accordent leurs plus larges sourires envers « celles sans qui ». Nous nous sommes penchés cette semaine sur celle sans qui Robert Schumann n’aurait pas été Robert Schumann.

Ne nous arrêtons pas trop longtemps sur la vie bien connue de Clara Wieck, née en 1819 d’un père autoritaire et célèbre professeur de piano du jeune Schumann. L’élève a neuf ans de plus qu’elle mais en fait rapidement sa muse ; il l’arrache plus tard au foyer Wieck pour l’épouser sans l’accord paternel. Interné en 1854, après quatorze ans de félicité et huit enfants, Robert Schumann meurt en 1856 – Clara lui survit quarante ans.

Quid de Brahms ? Epineuse question. Il semble que notre civilisation ne soit pas tout à fait prête à comprendre la relation qui unit l’épouse, puis la veuve, au célibataire : on se souvient du film Clara (Helma Sanders-Brahms, 2008) qui présentait une version romancée et bien plaisante, il faut le dire, de leur idylle ; on assiste aujourd’hui, dans l’opéra de chambre A travers Clara (créé en 2008 et donné lundi 2 mars salle Cortot), à l’effacement pur et simple d’un personnage encombrant.

Encombrant, oui, quand l’on cherche à ne comprendre une femme qu’à travers celui qui l’a épousée. Difficile de présenter une séduction qui ne s’est accomplie que dans la relation épistolaire : notre siècle veut choisir entre adultère et fidélité. Aimait-elle Schumann ? Brahms n’existait pas ; aimait-elle Brahms ? elle trompait Schumann. Aimait-elle la musique ? facile, dira-t-on, avec un père, un mari et/ou un amant pareils. Pauvre Clara. L’appeler par son prénom la libère du joug de son père sans nier son identité en l’accolant au nom marital. Mais pourquoi diable chercher à lui donner une identité si l’on ne peut la regarder que par le prisme des hommes qui l’ont entourée ?

Dans A travers Clara, Orianne Moretti (dramaturge, metteur en scène, comédienne, soprano) et Ilya Rashkovskiy (piano) racontent « le destin tragique de Robert Schumann à travers la musique de sa femme Clara ». Belle idée de transformer la scène austère de Cortot en salon des Schumann ; d’alterner lieder, lettres, journal intime et pièces pour piano, de travailler les « correspondances musicales et littéraires », à tous les sens du terme bien entendu. On ne voit pas assez souvent ce genre d’objet aux frontières du concert, du théâtre, de la lecture et du docu-fiction. On ne se penche pas assez souvent, et de manière aussi naturelle et évidente qu’Orianne Moretti, sur ces mélanges intéressants et profondément nécessaires. De telles créations sont aujourd’hui indispensables au renouvellement du spectacle vivant et de l’approche historico-artistique des auteurs et compositeurs des siècles passés.

Mais commencer l’histoire de Clara par sa rencontre avec Robert et l’achever à la mort de son mari, nier son existence en-dehors de Schumann comme d’autres l’ont niée en-dehors de Brahms, idéalisant l’adultère comme réalisation de l’âme, méconnaître l’amour (les amours) qu’elle portait à l’un, à l’autre et à la musique, réduire sa production musicale à des preuves de fidélité, c’est oublier qu’une femme a le droit d’aimer, de composer, et de vivre par elle-même.

Ecoutez les délicieux lieder de Clara et ses délicates pièces pour piano qu’Orianne Moretti et Ilya Rashkovskiy ont enregistrés, avec une certaine lourdeur et un accent parfois répréhensible, mais un indéniable enthousiasme et une réelle incarnation. Heureuse Journée internationale des droits de la femme à tous et à toutes !

 


Après quelques années de violon, Orianne Moretti intègre l’école du Ballet National de Marseille Roland Petit. C’est à cette école de la rigueur qu’elle découvre les arts de la scène. Elle y reçoit une solide formation de danse classique, contemporaine, folklorique, de théâtre et de mime. Suite à une blessure, le destin lui montre une nouvelle voie, celle du chant lyrique, véritable « théâtre du corps et de la musique ». Fondatrice et directrice artistique de Correspondances Compagnies, elle a créé trois opéras de chambre : A travers Clara (2008), Les Amants fous (2010) et Memoriae (2011).

Clara Schumann, Lieder et pièces pour piano

Orianne Moretti (soprano), Ilya Rashkovskiy (piano)

Durée : 66′. Correspondances Compagnies Records, 2015

 

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