Jean-Guihen Queyras © FrançoisSechet
Jean-Guihen Queyras © François Sechet

Queyras et Melnikov : une lecture éclairée des grandes pages pour violoncelle

2 minutes de lecture

La grande salle du Conservatoire de Genève était comble ce jeudi 5 mars pour accueillir Jean-Guihen Queyras et Alexander Melnikov, et découvrir leur interprétation de ces célèbres pages pour violoncelle et piano.

Dans la première partie, qui comportait les Cinq pièces dans un style populaire de Schumann et la Sonate n° 3 en la majeur de Beethoven, les deux interprètes ont fait preuve d’une très grande élégance. Traités avec intelligence et souplesse, les thèmes de la sonate de Beethoven, et notamment la phrase introductive, apparaissent particulièrement lumineux. Jean-Guihen Queyras n’hésite pas à proposer certains doigtés, certains coups d’archet qui s’éloignent de la tradition pour mieux servir le phrasé. L’utilisation parcimonieuse du vibrato permet au violoncelle — un somptueux Gioffredo Cappa de 1696 — de libérer toutes ses harmoniques, emplissant la salle d’un timbre particulièrement riche. La clarté et la précision de l’accompagnement d’Alexander Melnikov évoquent le toucher subtil des pianos classiques sur lesquels ces pièces ont été créées, conférant à l’ensemble une grande finesse. Quant aux pièces de Schumann, on peut, certes, leur préférer certaines versions plus spontanées, plus démonstratives, mettant davantage l’accent sur leur inspiration folklorique. Mais sait-on vraiment à quel type d’ humour Schumann faisait allusion lorsqu’il écrivait la première de ces pièces (Vanitas Vanitatum, Mit Humor) ? L’humour de ces deux musiciens est certainement plus aristocratique et spirituel que populaire.

Après l’entracte, le duo a interprété les Trois petites pièces op.11 de Webern. La concision du jeu de Jean-Guihen Queyras, l’absence de tout geste superflu font merveille dans ces courtes pièces atonales, ces aphorismes que l’on compare parfois à des haikus. Les deux musiciens, particulièrement complices dans ce répertoire, ont joué avec les silences et les textures pour nous intriguer, nous captiver, nous émouvoir, avant de nous ramener doucement, encore tout étonnés, sur les rives de la tonalité. Jean-Guihen Queyras a en effet choisi de prolonger ce moment de grâce en entonnant directement le chant mélancolique qui ouvre la Sonate en sol mineur de Rachmaninov, bientôt rejoint par les accords d’Alexander Melnikov. Leur interprétation de la sonate fut particulièrement émouvante, la pudeur et la retenue de Jean-Guihen Queyras se mêlant intimement à la virtuosité d’Alexander Melnikov.

En réponse aux applaudissements fusant de toutes parts, depuis l’arrière-scène jusqu’au dernier rang du deuxième balcon, c’est sur un ton très théâtral que Jean-Guihen Queyras a annoncé, en bis, le Prologue de la sonate de Debussy. Artifice permettant de s’extraire rapidement de l’univers tourmenté et intérieur de la sonate de Rachmaninov ? Allusion à la commedia dell’arte, qui inspira Debussy ? Evocation ironique des premières mesures de ce mouvement, fières et majestueuses comme une ouverture à la française ? Jean-Guihen Queyras aime décidément surprendre et donner à réfléchir… On ne peut qu’admirer la manière dont les deux interprètes ont su mettre en lumière chaque phrase, chaque intention du compositeur. Cédant une nouvelle fois aux applaudissements, le duo a finalement interprété les deux autres mouvements de la sonate, concluant avec générosité cet hommage au violoncelle placé sous le signe du raffinement.

 


Jeudi 5 mars 2015, Conservatoire de Genève

Jean-Guihen Queyras, violoncelle
Alexander Melnikov, piano


Robert Schumann
Cinq pièces dans un style populaire en la mineur op. 102

Ludwig van Beethoven
Sonate pour violoncelle et piano n° 3 en la majeur op. 69

Anton Webern
Trois petites pièces pour violoncelle et piano op. 11

Sergueï Rachmaninov
Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur op. 19

 

Parallèlement à ses activités de recherche en biologie à l'Université de Genève, Lydie Lane est violoncelliste dans plusieurs ensembles amateurs. Désireuse d'établir de nouveaux ponts entre musique et sciences, elle coordonne depuis 2013 le projet Opus23 - Music for a Gene, avec le compositeur Olivier Calmel et plusieurs solistes de l'Orchestre de la Suisse Romande. Elle fréquente les salles de concert parisiennes et genevoises, avec une prédilection pour la musique de chambre et particulièrement le quatuor à cordes. Elle suit également avec intérêt l'actualité de la danse contemporaine.

Derniers articles de Chronique