Anne Queffélec
Anne Queffélec

Chaise-Dieu : une ouverture en clair-obscur

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Pour la 49e édition du Festival de la Chaise-Dieu, Julien Caron a imaginé un programme en deux volets : un premier autour de 1685, l’année de naissance commune de Bach, Scarlatti et Haendel, et un deuxième autour de Beethoven. Le week-end d’ouverture, dédié à l’année 1685, a fait la part belle aux deux piliers historiques du festival – le piano et la musique sacrée.

Côté piano, c’est à Anne Queffélec qu’est revenu l’honneur d’ouvrir le festival. Elle dut braver la pluie battante pour arriver à l’heure à l’auditorium Cziffra où, encore tout essoufflée, elle nous invita à la suivre dans un voyage sans escale à travers l’Europe du XVIIIe siècle. Au fil de l’itinéraire qu’elle a minutieusement construit, de Leipzig à Lisbonne en passant par Londres et Rome, on a pu facilement reconnaître les voix de Bach, Scarlatti et Haendel. D’abord leurs questionnements, leurs doutes, leurs déchirements, qui s’entrecroisent et se répondent en mode mineur. Adagio après adagio, le silence de la salle s’est fait de plus en plus palpable, presque oppressant… Mais cette grande pianiste, habituée à entrer en empathie avec son public, sait aussi comment le réconforter : quelques sonates de Scarlatti, subtiles et joyeuses, interprétées avec grâce, et surtout la rayonnante Chaconne en sol majeur HWV 435 de Haendel, à l’énergie communicative. Dans la deuxième partie, le silence est devenu plus léger, plus apaisé ; celui d’une plénitude partagée. En guise de point d’orgue, elle a offert un très beau mouvement contemplatif, emprunté à Satie, avant de s’adonner, avec un plaisir évident, au rituel des dédicaces.

Anne Queffélec aime à rappeler l’injonction faite par Scarlatti à ses interprètes : « Montre-toi plus humain que critique et par là même augmente ton plaisir. Vivi felice (vis heureux) ! ». J’ai trouvé cette phrase parfaitement appropriée au concert du soir : l’interprétation de la Messe en si par la Chapelle Rhénane fut peut-être un peu trop humaine justement… voire un peu chaotique. Mais, en dépit des nombreux flottements de l’orchestre, l’élégance du Kyrie et la douceur de l’Agnus Dei, magnifiés par l’acoustique extraordinaire de l’abbatiale, auront suffi à mon bonheur.

Messe en si par la Chapelle Rhénane © Bertrand Pichène
Messe en si par la Chapelle Rhénane © Bertrand Pichène

Pendant ce temps, à une quarantaine de kilomètres,  l’ensemble Ghislieri interprétait le Stabat Mater de Pergolèse, un autre chef-d’œuvre de la musique sacrée, dans l’église de Sainte-Thérèse du Val-Vert.
Messe en si à l’abbatiale vs. Stabat Mater à l’église moderne… Entre le grandiose et l’intime, que le choix fut difficile !

Plus tôt dans la journée, le contre-ténor Max Emanuel Cencic donnait un concert original et très attendu autour de « L’art des castrats ». Ce qui aurait pu être une grande fête baroque s’apparenta davantage à une lecture assez sérieuse de pièces de Nicola Porpora et Leonardo Leo, contemporains de Scarlatti. Plongé dans sa partition du début à la fin du concert, il a enchaîné les airs et survolé les difficultés, ne semblant se soucier ni du public, ni du continuo – pourtant très (trop ?) présent. Difficile pour l’auditeur de se montrer « humain » lorsqu’il ne peut se raccrocher à un regard, un sourire, un geste… mais encore plus difficile de se montrer « critique » devant une telle clarté et une telle souplesse de voix. Max Emanuel Cencic a semblé cultiver le paradoxe scénique jusqu’à son salut, faussement timide et emprunté. Ce concert m’a laissé une impression étrange, diffuse, mais étonnamment prégnante. Comme si, en refusant une certaine forme de théâtralité, de complicité facile avec le public, il avait imposé une certaine profondeur… une autre manière de « vivre heureux ».


 

49e festival de musique de la Chaise-Dieu

Dimanche 23 août  2015

“L’art des castrats”, 15h, abbatiale Saint-Robert
Max Emanuel Cencic, contre-ténor
Orchestre de chambre de Bâle
Julia Schröder, premier violon et direction

Récital d’Anne Queffélec, 18h, auditorium Cziffra

J. S. Bach : Messe en si, 21h, abbatiale Saint-Robert
Stéphanie Révidat, soprano
Salomé Haller, mezzo-soprano
Pascal Bertin, alto
Marcus Ullmann, ténor
Matthieu Lécroart, baryton
La Chapelle Rhénane
Benoît Haller, direction

 

Parallèlement à ses activités de recherche en biologie à l'Université de Genève, Lydie Lane est violoncelliste dans plusieurs ensembles amateurs. Désireuse d'établir de nouveaux ponts entre musique et sciences, elle coordonne depuis 2013 le projet Opus23 - Music for a Gene, avec le compositeur Olivier Calmel et plusieurs solistes de l'Orchestre de la Suisse Romande. Elle fréquente les salles de concert parisiennes et genevoises, avec une prédilection pour la musique de chambre et particulièrement le quatuor à cordes. Elle suit également avec intérêt l'actualité de la danse contemporaine.

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