en septuor à Pornic
en septuor à Pornic © Alain Barré

Pornic Classic aux sources de l’esprit viennois

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Il faisait un temps splendide à Pornic en ces derniers jours d’octobre. L’occasion pour certains de s’allonger sur une plage pour finir un roman commencé l’été dernier. De flâner dans la vieille ville, sur les chemins côtiers. De prendre un dernier bain de mer avant l’hiver, puis de se détendre dans les eaux plus clémentes de la thalasso… Nous fûmes pourtant plusieurs centaines à préférer nous rendre à l’Espace du Val Saint Martin, pourtant un peu excentré, pour découvrir le programme présenté par le Trio Elégiaque (Virginie Constant, Philippe Aïche, François Dumont) et ses invités.

les pêcheries de Pornic
les pêcheries de Pornic

La harpiste Marielle Nordmann, marraine du festival, avait prévu de nous faire découvrir des mélodies venues d’Espagne et d’Amérique du Sud mais, souffrante, elle a été contrainte d’annuler son concert au dernier moment. Le Trio Elégiaque a donc proposé de puiser dans son répertoire pour offrir un programme de remplacement impromptu. Cela aurait pu être l’occasion pour eux de présenter une pièce peu connue, comme l’un des trios d’Henri-Napoléon Reber, qu’ils ont enregistrés en 2013. Ou bien de nous faire voyager jusqu’en Russie, avec un trio d’Arensky ou de Rimsky-Korsakov. Mais ils ont préféré opter pour les quatre Ballades de Chopin, et – Halloween oblige (sic !) – le Trio en ré majeur op 70 n°1 de Beethoven, surnommé “Les Esprits”.

Ce choix fut finalement très heureux : non seulement ce concert fut l’un des plus beaux du festival, mais il offrit une magnifique transition entre le programme classique du samedi (Mozart et Beethoven) et le programme romantique du dimanche (Brahms et Dvorak).

Au fil des quatre Ballades, François Dumont a exploré toute la palette des émotions humaines sans jamais céder au cliché, au rubato excessif, semblant constamment guidé par sa voix intérieure. De son jeu se dégagent une sincérité et une expressivité telles qu’on pourrait croire à certains moments que ces ballades, pourtant extrêmement construites, sont des improvisations.

Trio Elegiaque © Alain Barré
Trio Elégiaque © Alain Barré

Le surnom « Trio des Esprits » donné au Trio op 70 n°1 vient du fait que Beethoven l’aurait été écrit en même temps que ses essais pour la scène des sorcières de Macbeth, un opéra qui ne verra jamais le jour. S’il est difficile de savoir si le compositeur a vraiment voulu évoquer des fantômes sortant des fumées d’un chaudron imaginaire, il faut reconnaître que son mouvement lent « Largo assai ed espressivo » est particulièrement sombre et mystérieux, avec son thème obsessionnel, ses tremolos menaçants au piano, ses harmonies curieuses… Il est d’autant plus inquiétant qu’il est encadré par deux mouvements rapides, qui semblent tout à fait normaux. Est-ce une volonté de montrer que le surnaturel peut surgir au milieu de l’ordinaire ? Le troisième mouvement, qui referme avec assurance cette porte entrouverte vers l’imaginaire est-il vraiment si rassurant? Le Trio Elégiaque, dont l’interprétation paraît constamment hésiter entre romantisme et classicisme, a semblé prendre beaucoup de plaisir à jouer avec les ambiguïtés de cette pièce si difficile à classer.

La veille, c’était un Beethoven moins complexe, mais déjà novateur, que nous avons pu entendre avec le Septuor en mi bémol majeur, composé quelques années plus tôt. Philippe Aïche, Virginie Constant, Nicolas Bône (alto), Jean-Olivier Bacquet (contrebasse),  Pascal Moraguès (clarinette), Giorgio Mandolesi (basson) et Pierre Moraguès (cor) sont parvenus à trouver un très bel équilibre des timbres malgré l’acoustique difficile de la salle.

Juste avant, François Dumont, Pierre et Pascal Moraguès, Giorgio Mandolesi et David Walter (hautbois) avaient interprété le Quintette en mi bémol majeur de Mozart. Le phrasé et les couleurs apportés par les musiciens du Quintette Moraguès ont été superbement mis en lumière par le jeu tout en délicatesse de François Dumont, qui est parvenu à nous faire oublier par moments qu’il ne joue pas sur un pianoforte.

Après Mozart et Beethoven, nombreux sont les compositeurs qui s’établirent à Vienne, et Brahms n’est pas le moins connu d’entre eux. Pour le concert de clôture, le Trio Elégiaque a donné une version lumineuse de son Trio n°1 en si majeur. Le piano, toujours très à l’écoute, a su laisser aux cordes l’espace nécessaire à leur expression. Tous deux en ont profité pour nous offrir de très beaux solos, particulièrement le violoncelle dans le premier mouvement.

Rejoints par Isabelle Marié-Aïche et Nicolas Bône, ils ont ensuite interprété le célèbre Quintette n°2 en la majeur de Dvorak. A l’image du festival, les cinq musiciens ont montré une belle complicité, dans les moments nostalgiques comme dans les passages plus joyeux, une grande énergie, et surtout beaucoup de générosité. Et c’est finalement sur le scherzo du Quintette pour piano et cordes de Brahms que cette superbe édition du festival Pornic Classic s’est terminée.

Quintette de clôture © Alain Barré
Quintette de clôture © Alain Barré

Pour retrouver l’atmosphère chaleureuse des concerts de Pornic, nul besoin d’attendre l’année prochaine : tout au long de l’année, les Concertinos de Pornic proposent de nombreux moments musicaux autour d’un programme éclectique. Le prochain rendez-vous est le 21 novembre à 19h à la Chapelle de l’Hôpital : Alain Brunier (violoncelle) présentera un programme autour de Bach et des danses. Un bien joli prétexte pour une escapade océane improvisée.


Festival Pornic Classic, 24 et 25 octobre 2015, Espace Val Saint-Martin

« Vents de Vienne »
Samedi 24 octobre, 19h, avec le Quintette Moragues, le Trio Elégiaque, Jean-Olivier Bacquet et Nicolas Bône

Mozart – Quintette pour piano et vents en mi bémol majeur

Beethoven – Septuor pour cordes et vents en mi bémol majeur

“Chopin et Beethoven”
Dimanche 25 octobre 15h30 (en remplacement du concert annulé de Marielle Nordmann), par le Trio Elégiaque

Chopin – Ballades

Beethoven – Trio en ré majeur op 70 n°1 “Les Esprits”

Concert de clôture
Dimanche 25 octobre, 18h  avec le Trio Elégiaque, Isabelle Marié-Aïche et Nicolas Bône

Brahms – Trio n°1 en si majeur  

Dvorak – Quintette n°2 en la majeur 

Parallèlement à ses activités de recherche en biologie à l'Université de Genève, Lydie Lane est violoncelliste dans plusieurs ensembles amateurs. Désireuse d'établir de nouveaux ponts entre musique et sciences, elle coordonne depuis 2013 le projet Opus23 - Music for a Gene, avec le compositeur Olivier Calmel et plusieurs solistes de l'Orchestre de la Suisse Romande. Elle fréquente les salles de concert parisiennes et genevoises, avec une prédilection pour la musique de chambre et particulièrement le quatuor à cordes. Elle suit également avec intérêt l'actualité de la danse contemporaine.

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