La station balnéaire et thermale de Pornic, célèbre pour son charme intemporel et la douceur de son arrière-saison, a accueilli du 24 au 26 octobre la quatrième édition du Festival Pornic Classic, qui a affiché complet pour presque tous les concerts. Une belle réussite pour ce festival qui pourrait bien devenir un incontournable des festivals de musique classique en automne.



Epaulés par une formidable équipe de bénévoles, les organisateurs du festival, Jean-Pierre et Andrée-Paule Jacquin, ont su insuffler à leur festival une atmosphère particulièrement conviviale. Le Trio Elegiaque (François Dumont, piano, Philippe Aïche, violon et Virginie Constant, violoncelle), qui en assure la direction artistique, veille à ce que la programmation soit à la fois exigeante, éclectique et accessible.
Ainsi, le festival a débuté de manière très originale avec un spectacle d’improvisation de Didier Lockwood. Ce célèbre violoniste de jazz, curieux de toutes les musiques, a toujours aimé mélanger les styles, et étonner son public. A l’aide de quelques slogans faciles mais efficaces comme : « On a tous le rythme dans le sang… mais certains ont une mauvaise circulation », il est parvenu à convertir le public du Val Saint-Martin en section rythmique, pour lui faire ressentir l’importance des silences dans la musique ou des temps faibles dans le swing. Et, même s’il se plaît à dire que « beaucoup ont l’oreille absolue mais encore plus n’ont absolument pas d’oreille », il a apporté la preuve irréfutable que nous sommes tous capables de chanter une gamme pentatonique juste.
D’où nous viennent ces facultés musicales ? Font-elles partie de la construction de base de notre cerveau, ou bien les construisons-nous inconsciemment au fil de nos écoutes musicales ? Pourrions-nous les utiliser comme un véritable langage ? Le charmant duo improvisé entre Didier Lockwood et, au piano, une jeune femme qui n’a jamais appris la musique, est déjà un bel élément de réponse.



Didier Lockwood nous assure : « Improviser, c’est ce que vous faites toute la journée sans vous en rendre compte ! ». Le rayon « développement personnel » de nos librairies regorgent d’ouvrages nous incitant, comme lui, à abandonner nos habitudes quotidiennes et à «improviser» au quotidien pour vivre plus heureux. Mais, au fond, qu’entend-on exactement par « improviser » ? Où commence l’improvisation et où s’arrêtent l’imitation, l’application de schémas préétablis ? Où s’arrête l’improvisation et où commencent la réflexion, la composition, l’écriture ? L’improvisation a besoin d’un cadre et de contraintes, se nourrit d’influences. Didier Lockwood en joue à merveille. En écoutant ses solos ébouriffants, où il croise allègrement tous les styles musicaux avec son «violon / alto / violoncelle / contrebasse » électronique ou sa « loop station », sa formule du début du concert : « moins je pense à la musique quand je joue, mieux c’est ! » m’est revenue en mémoire et m’a fait sourire, tant l’ensemble m’a paru savamment construit et orchestré. En tous cas, quand il joue on pense, et c’est tant mieux !
Le lendemain, c’est dans une perspective historique qu’Olivier Légeret nous a parlé de musique. En guise d’introduction aux autres concerts du festival, il a donné une présentation intitulée “Vienne et l’Europe centrale aux sources de la musique”, illustrée en musique par le Trio Elégiaque, Isabelle Marié-Aïche (violon), et Nicolas Bône (alto). Il nous a expliqué pourquoi Vienne, ce formidable carrefour culturel, a attiré tant de compositeurs depuis le XVIIIe siècle, et comment Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, Bruckner et tant d’autres y ont écrit leurs plus belles pages, rappelant au passage que ces musiciens furent surtout de grands expérimentateurs. Avec humour et passion, il a évoqué les origines de la valse bien sûr, mais aussi celles du quatuor à cordes et du pianoforte. Il a expliqué les contraintes qui ont conduit Mozart à imaginer le concept de concerts payants dans une ville où la musique se pratiquait avant tout dans les cours princières, et Beethoven à réaliser des transcriptions de ses œuvres orchestrales pour des formations réduites. Enfin, il a rappelé que la musique s’inscrit toujours dans un contexte politique, et que certains compositeurs comme Brahms à Vienne, ou Dvorak, Sibelius ou Grieg dans leurs pays respectifs, ont su se faire porte-parole de leur peuple en intégrant des musiques folkloriques à leurs compositions. A l’issue de cette conférence passionnante, Olivier Légeret nous a incités à partir ou repartir à la découverte de cette ville magnifique où, dit-on, les habitants vivent toujours au rythme de la musique classique.
D’après Olivier Légeret, la musique classique aurait un côté “archéologique” : alors qu’à l’époque de Mozart ou de Beethoven, on jouait presque exclusivement des pièces contemporaines, aujourd’hui on collectionne les interprétations d’œuvres écrites aux siècles passés. On pourrait lui répondre que c’est sans doute parce que les interprètes n’ont pas fini d’explorer ces œuvres et les espaces d’expression qu’elles leur réservent…



Assister à une masterclass est une occasion unique de découvrir comment une interprétation se construit. Je n’ai malheureusement pas pu assister à celle du vendredi donnée par Pascal Moraguès (clarinette). Celle du samedi était donnée par François Dumont. Pendant près de trois heures, dans un langage simple et précis, ce merveilleux pédagogue a modelé, façonné, ciselé la matière musicale proposée par les cinq étudiants, actuellement en formation au Pôle Supérieur de Rennes. Sous l’œil attentif de leur directeur, Benoît Baumgartner, il a expliqué comment on peut évoquer le pianoforte des salons viennois en allégeant la pédale et en clarifiant le phrasé. Montré que, paradoxalement, l’émotion d’une sonate de Schubert ne peut naître que d’une interprétation plus structurée, d’un tempo plus stable. Après avoir mis en lumière quelques finesses d’écriture insoupçonnées, il a fini par s’éloigner de la partition et du piano, pour ne plus parler que de lieder et de quatuor à cordes. Les mains deviennent alors des archets qui envahissent l’espace, le phrasé s’éclaire, l’expression se libère… A l’inverse, il a insufflé de la liberté, de la souplesse, à des fantaisies de Schumann un peu trop sérieuses. Pour accentuer les contrastes, il a imaginé une orchestration, proposé ici des cors impétueux, là des violons mélancoliques. Enfin, il a guidé trois étudiants dans leur lecture des variations du Trio opus 11 de Beethoven, leur indiquant comment les rendre cohérentes, tout en mettant en relief certains passages virtuoses ou certains traits d’humour.
Et le lendemain, lorsque les étudiants ont présenté leur version de concert de ce trio, leur plus belle récompense fut peut-être l’éclat de rire spontané d’une petite fille, juste après l’exposition du thème du troisième mouvement. Preuve que lorsqu’elle est jouée avec intelligence, la musique se passe parfois de grandes explications.
Vendredi 24, samedi 25 et dimanche 26 octobre,
Espace du Val Saint-Martin et Chapelle de l’Hôpital, Pornic
Didier Lockwood
Quintette Moraguès
Trio Elegiaque
Jean-Olivier Bacquet, contrebasse
Isabelle Marié-Aïche, violon
Nicolas Bône, alto
Olivier Légeret, conférencier
et les étudiants artistes du Pôle Supérieur de Rennes Bretagne-Pays de la Loire