A l’occasion de l’anniversaire de la grande Guerre, vous avez créé un programme qui traite le départ au front et ses conséquences. Comment l’avez vous construit ?
Le projet est né de la rencontre avec le mezzo-soprano Isabelle Druet, dont nous aimons particulièrement l’élocution et la diction.
Nous avions également envie de travailler avec le Palazzetto Bru Zane et quand on nous a proposé le thème de la guerre nous avons commencé à chercher le répertoire adapté.
Le programme, qui commence et se termine par un quatuor, est organisé en quatre parties, auxquelles nous avons donné une sorte de continuité.
On commence par un Départ au front, où les oeuvres sont un peu naïves, presque optimistes, et le comique est au rendez-vous, comme dans l’air Ah ! Que j’aime les militaires de la Grande Duchesse de Gérolstein de Jacques Offenbach. Puis vient le Combat lui-même, avec entre autres le Quatuor avec piano Op. 45 de Gabriel Fauré, qui comme les autres quatuors que nous avons choisis, transmet des images très fortes; l’adagio du Quatuor avec piano Op. 15 de Fauré introduit ensuite la Mort, suivi par d’autres pièces où le recueillement creuse la douleur et la tristesse. Après l’épreuve de la guerre, pour conclure de manière plus apaisée, on passe par le Paradis, avec l’andante du Quatuor avec piano de Reynaldo Hahn, qui est une sorte de baume et où le motif lancinant de l’alto devient presque une caresse permanente.
Nous avons essayé de construire un programme avec une palette riche de sentiments qu’Isabelle réussit à rendre très facilement, car en étant également comédienne, elle passe du rire aux larmes de manière convaincante et arrive à faire voyager les spectateurs, qui rient, pleurent et restent suspendus…
Les textes des mélodies et des airs vous aident également à communiquer avec les spectateurs…
Oui, les textes apportent énormément au spectacle. Nous sommes très contents de faire découvrir des beaux poèmes, comme Exil de René Niverd, Les larmes de Paul Harel et l’Élégie d’Albert Samain et des oeuvres peu connues comme celles de Chaminade ou de Godard, transcrites par Alexandre Dratwicki.
Si les textes traitent de sujets forts comme la mort et l’absence, ils sont aussi satiriques et drôles, comme l’air de La Fille du régiment de Gaetano Donizetti qui parle de «Ces brigands de Français », qui nous a fait bien rire, quand on l’a joué à Vénise.
Dans « Où pays ou se fait la guerre » vous alternez des mélodies aux airs d’opérette, de l’intimisme à la théâtralité. Comment avez vous réussi à montrer cette diversité tout en gardant une unité ?
Il n’y a pas de mise en scène mais des petites touches de mise en espace : Isabelle est dans la suggestion, par le geste elle enchaîne les différentes parties. Quand il y a un air d’opérette elle est plus dans le théâtre et chante sans partition pour être plus proche du public, tandis que pour les mélodies elle se rapproche de nous en créant plus une ambiance de musique de chambre. Isabelle chante et raconte une histoire que nous colorons.
On a choisi l’ordre des morceaux, après le silence d’une pièce recueillie, Isabelle bouge et tout de suite fait changer l’atmosphère. Isabelle chante et raconte une histoire que nous colorons. On est un peu kaléidoscopiques !
Qu’est-ce qui vous touche dans le répertoire peu connu ?
Ça nous touche d’aborder des oeuvres qui n’ont pas beaucoup été jouées, car comme il n’y a pas beaucoup de références, nous nous sentons plus libres. Il est très rare d’avoir cette liberté, car même en essayant d’oublier ce qu’on a écouté on est toujours influencé, tandis que quand on aborde un répertoire méconnu, le seul support est la partition, accompagnée des références historiques.
Vous avez choisi de mettre en valeur des compositrices, telles que Mélanie Bonis, qui écrivait sous le nom de Mel pour se faire passer pour un homme. Pourquoi ?
Nous sommes très touchés par la musique de Mélanie Bonis, qui est très inspirante et riche de sentiments exacerbés. Les situations entremêlées et les frustrations qu’elle a vécues se reflètent dans sa musique : ses compositions sont très passionnées et tendres, mais imprégnées de tension et de lutte permanente.
A côté de Bonis, avec ce programme on souhaite faire redécouvrir aussi Cécile Chaminade et Nadia Boulanger, et contribuer à leur rétablissement, comme il en a été le cas pour Clara Schumann et Fanny Mendelssohn. Pour finir, il nous paraissait aussi important de faire honneur aux femmes et à leur rôle essentiel pendant la guerre.
Est-ce qu’en tant qu’artistes, pensez-vous avoir une responsabilité vis à vis de la Mémoire ?
Si ce n’est pas une responsabilité, la mémoire est très importante pour nous : Isabelle parle au public et lui explique ce programme qui reste douloureux et fort, même si ça termine sur une note apaisée, d’espoir. Il est vrai que le souvenir de la Grande Guerre a une forte résonance avec les conflits actuels : en juin dernier nous nous sommes retrouvés à donner ce spectacle au moment où le conflit Israélo-palestinien s’était à nouveau exacerbé. Ce sont des moments qui mettent mal à l’aise, mais qui font réfléchir.
Vous avez récemment enregistré un CD avec deux quatuors avec piano de Gabriel Fauré et Mélanie Bonis. Comment avez-vous choisi d’associer ces deux compositeurs ?
Ce sont deux compositeurs que nous aimons beaucoup et que nous jouons souvent ensemble, car leurs musiques ont un dialogue intéressant.
Dans le Quatuor avec piano n°1, on perçoit un Fauré jeune et romantique avec beaucoup de fougue, dans celui de Mel Bonis il y a un élan et un tissu très dense. Les deux oeuvres se font écho dans un élan à l’unisson plein de lumière.
Si la passion pour la vie de Bonis rappelle la jeunesse de Fauré, il faut dire que elle aussi a évolué vers la modernité, avec des compositions au tissu plus moderne et audacieux.
Nous sommes très contents de ce CD, car nous avons eu la chance de l’enregistrer dans l’Arsenal de Metz, qui a une acoustique d’exception, aidés par un ingénieur du son qui nous a compris et mis à l’aise en nous permettant de donner le mieux de nous mêmes.
Quels sont vos projets ?
Nous venons de terminer une tournée en Chine, où nous avons joué beaucoup de Quatuors avec piano.
En rentrant en France, nous avons retrouvé Isabelle pour répéter Au pays où se fait la guerre. Nous sommes tous tellement enthousiastes de cet expérience que nous allons rapidement la renouveler. Le nouveau spectacle nous permettra plus de possibilités car ce sera en collaboration avec deux chanteurs. Cette fois le thème sera plus léger, plutôt onirique et féerique, et nous jouerons encore des oeuvres retranscrites.
Quatuor GIARDINI
David VIOLI, piano
Pascal MONLONG, violon
Caroline DONIN, alto
Pauline BUET, violoncelle