Vendredi 19 juin à la Maison des Arts de Créteil, l’Atelier Lyrique donnera la première d’une série de quatre représentations de Così Fan Tutte, le célèbre opéra buffa de Mozart ici revisité par Dominique Pitoiset.
Le metteur en scène nous livre sa vision du livret de Da Ponte et la mission qu’il s’est donnée en mettant en scène les jeunes chanteurs de l’Atelier.
Vous avez pris le parti de mettre en scène Così Fan tutte sur fond d’un univers professionnel ultra-moderne : Don Alfonso avec un costume et des baskets. Pourquoi avoir choisi ces codes ?
D’une part, les conventions de représentation et le jeu en costume d’époque ne suffisent pas à donner le change. D’autre part, il est important de réaliser un travail réaliste sur les enjeux entre les personnages et sur les situations pour faire du théâtre musical. Il faut que les artistes soient capables de tenir une narration aussi longue et difficile que celle de Così, qui est une des œuvres les plus complexes qui existent. Tenir les récitatifs puis entrer dans les airs en maintenant la tension de la narration trois heures durant, cela nécessite de faire appel à bien d’autres richesses et nuances de jeu que les simples postures. En ôtant les masques, on oblige les acteurs à être nus, à sauter dans une piscine d’eau froide !
La mise en scène utilise plusieurs mises en abyme : ce principe ne limite-t-il pas cette nudité que vous décrivez ?
Ce sont des prétextes au jeu. Selon moi, l’intérêt de l’Atelier lyrique -et de l’Académie dans laquelle il s’inscrit aujourd’hui- consiste à l’insertion professionnelle de jeunes en fin de formation qui entrent dans un cycle professionnel qui sera exigeant et « rapace ». Pour survivre à ce système, il ne suffit pas d’être bon musicien, il faut également être acteur. Évidemment, le préalable est musical. Mais ces œuvres sont jouées par des corps contemporains qui racontent des histoires d’hier pour transformer le monde de demain. Antoine Vitez le disait et c’est toujours d’actualité. Le théâtre post-brechtien concret est aujourd’hui le langage qui traverse massivement la question du théâtre et du cinéma contemporains. Si les chanteurs échappent à cette logique, ils risquent de passer à côté de la cible.
L’objectif est également d’alimenter l’imaginaire des chanteurs à des endroits inattendus. C’est un exercice complexe : les jeunes artistes de différentes nationalités se rencontrent en italien (de l’époque) dans une fable dont ils ne maîtrisent pas forcément le sous-texte. C’est donc au corps de prendre en charge ce sous-texte, autrement il devient lapsus : avec leur corps, les acteurs doivent donc nourrir les raisons du récit plutôt que d’en illustrer les conséquences.
Cette problématique sous-tend un océan de remises en questions. L’exercice est quelquefois douloureux, mais il doit être accompli, parce que ce sont ces mêmes artistes que nous retrouverons sur les grandes scènes professionnelles du circuit, et qui seront soit des personnes investies dans les problématiques de la scène, soit des emmerdeurs de première catégorie ! Je le dis crûment car j’ai maintenant l’âge pour l’assumer, après l’avoir subi longtemps. Il y a un énorme écart entre le travail avec des chanteurs investis dans le théâtre musical qui nous donnent le plaisir du jeu et ceux qui prennent des consignes pour pouvoir chanter en place. Pour les spectateurs, la différence est abyssale.
En effet, on ressent vraiment cette tension des corps, une vraie tension sexuelle parfois…
Il est difficile de faire prendre conscience aux chanteurs que sous les mots il y a la nécessité des mots, et qu’il faut la faire naître. Quand ce n’est pas votre langue maternelle, que vous chantez le propos, et que vous devez en plus faire agir le corps avant, l’exigence est supérieure à celle que l’on demande à un corps illustrant simplement un propos musical. Il faut chasser la tentation de prendre des postures lyriques ! Le grand intérêt de cette académie et de l’Atelier Lyrique est un travail de prise de conscience des nécessités du théâtre contemporain.
Et puis Mozart est terriblement difficile : sur les livrets de Da Ponte, il n’y a pas seulement du goût, du jus, de la profondeur, il y a aussi du sens, du texte, de la perversité, de l’ironie, de l’allusion, de nombreuses références. On parle du génie de Mozart, mais parlons de celui de Da Ponte ! D’ailleurs, je travaille davantage sur le livret de Da Ponte qu’avec la musique de Mozart – même si je l’entends tout le temps. Pour le metteur en scène, en tout cas pour celui que je me suis donné d’être sur ce livret, il faut lire, beaucoup, et devancer, c’est-à-dire essayer de comprendre comment on peut être au rendez-vous pour que la musique naisse. C’est un travail complexe, ambitieux et démesuré qui nécessite une grande humilité.
En assistant à la générale aujourd’hui, pensez-vous avoir relevé le défi et accompli la mission que vous vous êtes attribuée?
Je pense qu’on ne peut jamais être satisfait lorsqu’on est confronté à des monuments comme celui-là. Mais les artistes ont déjà fait beaucoup de chemin et je vous invite à venir voir ce travail. Vous allez voir de jeunes artistes qui ont un potentiel énorme et un jeune orchestre, tenu par un chef de grande qualité, Jean-François Verdier, qui a fait un travail remarquable !
Que diriez-vous aux spectateurs qui n’ont pas encore acheté leur billet?
Déconcentrer, décentraliser l’Atelier Lyrique et l’Opéra de Paris est une action vertueuse, mais il faut qu’elle attire un public différent. Les personnes qui ont l’habitude de se rendre à l’Opéra de Paris et qui vont faire le voyage jusqu’ici sont les bienvenues. Mais je souhaite aussi que les habitants de Créteil viennent assister au spectacle et se disent qu’ils sont chez eux, et que nous sommes leurs invités.
Così Fan Tutte
opera buffa de Wolfgang Amadeus Mozart sur un livret de Lorenzo Da Ponte
Les 19, 20, 23 et 24 juin 2015 à la Maison des Arts de Créteil
Solistes de l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris
Orchestre-Atelier Ostinato
Chœur de Chambre de la Maîtrise des Hauts-de-Seine
Mise en scène et scénographie : Dominique Pitoiset
Direction musicale : Jean-François Verdier
Informations et réservations :