Le hautbois baroque : entre recherche sonore et répertoire à redécouvrir. Conversation avec Christopher Palameta.
Comment êtes-vous arrivé au hautbois baroque ?
Je fais du hautbois depuis l’âge de 12 ans. J’ai toujours été fasciné par sa sonorité.
C’est en écoutant un disque avec un concert de hautbois, que ma mère, qui jouait de la guitare classique, m’avait acheté, que je suis tombé amoureux du timbre de cet instrument. J’ai ensuite fait mes études à l’université au Canada – chez nous il n’y a pas de conservatoire – et je me suis spécialisé en hautbois historiques.
Quelles sont les différences techniques entre les hautbois moderne et baroque ?
Le hautbois moderne a une trentaine des clés, tandis que sa version baroque n’en a que deux : il faut donc arriver à faire la même chose avec moins de moyens. C’est un instrument plus rudimentaire mais qui a plus de souplesse. Tout se fait avec le souffle et le support du diaphragme qui permet de changer les octaves. Il y a des différences dans l’embouchure, dans la technique et le doigté.
Le hautboïste doit travailler ses anches en fonction du son qu’il recherche et de sa morphologie : c’est quelque chose de très personnel, on gratte le bois pour faire le son, en recherchant la sonorité et la couleur. Comme pour les bassons, c’est une signature. Les anches varient également selon le type de concert : pour un récital solo on n’utilise pas la même anche que si on est dans la fosse de l’orchestre. Comme l’anche du hautbois est faite en roseau, un matériel qui n’est pas très durable, on est obligé de la renouveler souvent et c’est très chronophage…
Votre recherche ne s’arrête pas au timbre de votre instrument, vous êtes également féru de répertoire méconnu…
Oui, cela se situe au cœur de ma démarche artistique, car je trouve qu’aujourd’hui on joue très souvent les mêmes choses.
Lorsque j’étais étudiant j’avais déjà l’habitude de proposer à mes professeurs plein d’œuvres qui n’étaient pas écrites pour hautbois. Cela n’était pas facile à faire accepter, mais c’est tout à fait cohérent, car en réalité on ne faisait pas cette distinction jusqu’à une période récente.
Les compositeurs baroques étaient très pragmatiques : Marin Marais, dans les préfaces à ses Pièces pour viole de gambe, spécifie qu’elles peuvent tout à fait convenir aux autres instruments, dont le hautbois. Il suffit juste de trier et de trouver les pièces les plus adaptées à l’instrument.
Vous vous intéressez également aux compositeurs peu connus, comme Johann Gottlieb Janitsch dont vous avez enregistré trois albums de Sonate da camera…
Janitsch, qui a beaucoup écrit pour hautbois, est un compositeur qui m’a toujours attiré.
En 2008, je suis allé en Allemagne pour consulter la collection de l’Académie de chant de Berlin, qui avait disparu dans les années 40. Une grande partie de ces partitions, confisquées pendant la guerre, qui couvrent une période entre le XVIIIe et le XIXe siècle, n’avait jamais été jouée. Ce fut une très belle occasion pour moi.
J’ai donc consacré trois disques à Janitsch, en collaboration avec le label ATMA Classique.
Votre dernier disque présente les pièces pour viole de gambe de Marin Marais, que vous avez transcrites pour hautbois. Comment passe-t-on d’un instrument à sept cordes au hautbois baroque ?
Le hautbois baroque est un instrument français qui a été créé par les facteurs, compositeurs et virtuoses des familles Hotteterre et Philidor à la cour de Louis XIV, en 1660, mais pour lequel la première sonate ne date que de 1723. Il a toujours suscité les transpositions et les arrangements.
L’instrument a évolué au fil des décennies, le son est devenu plus rond et lui a permis d’être joué dans les appartement du Roi, pour les célèbres Soupers – c’est à cette époque que le répertoire du hautbois se crée.
J’ai suivi l’indication de Marin Marais et transcrit pour mon instrument certaines de ses Pièces pour viole au terme de nombreuses expérimentations. La fascination qu’exerce la corde le plus aigüe de la viole, la chanterelle, sur le compositeur, m’a aidé à adapter facilement adaptable ses œuvres au registre du hautbois.
Les Pièces pour viole, que j’ai enregistré avec Audax, un petit label qui s’intéresse à la redécouverte d’œuvres inconnues, regroupent cinq livres avec cinq cents mouvements : je ne pourrais pas tous les enregistrer, évidemment, mais j’espère avoir ouvert la voie à d’autres instrumentistes qui me suivront peut-être dans ce genre de démarche.
Par quoi êtes-vous plus particulièrement touché dans cette musique ?
Je côtoie ces œuvres depuis 15 ans. J’ai choisi le répertoire pour la viole de gambe car j’ai une grande attirance pour cet instrument. Chez Marais, tout est dans la subtilité des nuances et dans la beauté du son. La musique française est virtuose sans être ostentatoire : quand on joue un passage difficile, cela ne doit pas en avoir l’air.
Marais, qui a étudié la composition avec Lully et la viole avec M. de Sainte-Colombe, a créé une musique novatrice, avec une esthétique de la couleur, une élégance et une sensibilité qui me touchent énormément.
Avant de venir en France, vous étiez au Canada. Comment se porte la musique baroque outre-Atlantique et quelles sont les différences avec la France ?
En France, la musique baroque est très développée et beaucoup d’orchestres baroques n’hésitent pas à jouer d’autres répertoires comme le romantisme ou même Stravinski !
Au Canada, j’ai eu la chance d’intégrer dès mon jeune âge le Tafelmusik Baroque Orchestra, un orchestre baroque qui joue également du classique et du romantique. Grâce à eux j’ai pu faire beaucoup de concerts, dont une grande partie en Europe, et j’ai participé à une trentaine d’enregistrements.
Mais le baroque au Canada a tout de même un peu de retard, il y a moins de monde et moins d’opportunités. C’est pour ça aussi que je suis venu en France.
Ici j’ai pu participer à des collaborations très intéressantes, avec la Simphonie du Marais, le Concert spirituel, avec qui j’ai joué a la Philharmonie de Paris, ou encore le Concert Lorrain avec qui j’ai fait La Passion selon Saint Matthieu.
En mai j’ai également joué le Falstaff de Salieri à Herblay sur instruments d’époque.

Vous retournez parfois au Canada ?
Oui, j’y retourne souvent pour voir ma famille et pour y jouer. Certains orchestres m’invitent pour des festivals et j’en suis ravi, même si je suis de plus en plus concentré sur ma carrière de soliste et de chambriste.
Vous avez une collection de hautbois de différentes époques ?
J’ai des hautbois français baroques pour jouer du Lully, des hautbois baroques allemands, avec une sonorité différente, plus adaptée à Bach, et encore d’autres plus classiques, à trois clés pour jouer du Mozart et Haydn.
Je viens d’acquérir un hautbois de 1840 que j’aimerais utiliser pour la musique romantique. Il s’agit d’un instrument assez rare, car si beaucoup de facteurs copient les instruments baroques, il n’en est pas de même pour les instruments classiques ou romantiques et cela limite énormément le répertoire. Je songe à également faire un disque sur le répertoire romantique avec un piano-forte.
Quels sont vos autres projets ?
J’aimerais faire des programmes autour des pièces de viole de Marais avec plusieurs instrumentistes, ce que l’on fait déjà énormément avec la musique de Couperin.
Mon prochain album, qui paraîtra en 2016, sera consacré aux compositeurs autour de Frédéric II le Grand.
Flûtiste et Maître des Arts, il s’était entouré de compositeurs tels que Carl Heinrich Graun, Franz Benda, Christoph Schaffrath, Joachim Gottlieb Quantz qui ont représenté l’âge d’or de la musique berlinoise et que je souhaite faire redécouvrir au public d’aujourd’hui.