À l’occasion du 30e anniversaire du Festival baroque de Pontoise, nous avons rencontré son directeur Patrick Lhotellier.
Le festival baroque de Pontoise a trente ans. Quel est votre bilan de ces années et votre vision pour le futur ?
Cela fait vingt-deux ans que je fais partie de la direction du festival. Il a pris son envol il y a trente ans ; depuis, on a vu une grande progression dans la programmation : de cinq concerts on est passé à vingt, et le rayonnement a largement dépassé les murs de Pontoise… Nous investissons seize lieux différents du Val d’Oise et le festival trouve sa légitimité dans le substrat culturel de la ville. Mon objectif a toujours été de faire évoluer le festival et de l’ouvrir le plus possible à d’autres publics comme à d’autres répertoires, comme la Renaissance et la musique ancienne, pour couvrir ainsi un passé historique qui va du Moyen-Âge à la fin du XVIIIe siècle.



Le festival s’ouvre également sur d’autres arts, comme la danse, le théâtre et même la magie qui dialoguent avec la musique…
Le baroque est une musique vivante, il est important de la jouer avec respect et avec une connaissance des textes et de l’instrumentarium, mais je trouve qu’il est très intéressant de la faire interagir avec le théâtre, la pantomime, la danse… Ainsi le public peut arriver à la musique par le biais de propositions scéniques ou chorégraphiques.
Nous militons pour le renouvellement du public, pour la pédagogie et la sensibilisation auprès des jeunes et des moins jeunes. Nous faisons aussi un travail de sensibilisation des publics dans les milieux hospitalier et carcéral, nous travaillons avec les scolaires et les professeurs, pour qu’ils amènent leurs élèves aux concerts.
Il est difficile d’envisager un futur très lointain mais le festival veut progresser dans la programmation et dans son esprit d’ouverture. Non sans difficultés d’ailleurs : la fragilité augmente forcément au fil des années, car la crise actuelle touche particulièrement les festivals.
Nous avons une convention de trois ans avec la DRAC, le conseil départemental, la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise et la ville de Pontoise, c’est notre quatrième convention triennale et j’espère qu’elle sera reconduite. Nous essayons également d’améliorer notre part de mécénat, mais cela n’est pas simple… Même après 30 ans de festival, s’il y a de nombreux éléments positifs, rien n’est jamais acquis.
Le festival baroque de Pontoise s’intéresse également aux ensembles émergents…
Les seules structures qui permettent l’émergence des jeunes talents sont les festivals comme le nôtre, qui osent prendre des risques et leur offrent la possibilité de se faire connaître. Je suis très heureux d’avoir accueilli ici des jeunes qui aujourd’hui sont très connus, comme l’ensemble Correspondances qui, grâce à notre festival, a fait une tournée au Japon !
Le festival a pris sa place au sein du REMA, dont j’ai participé à la création en 2000 sur l’initiative d’Alain Brunet et dont j’ai été vice-président pendant sept ans. Ce réseau, qui regroupe la presque totalité des pays membres de la communauté européenne, compte plus de soixante-dix structures, dont des grands comme le Festival Oude Muziek d’Utrecht ou celui d’Ambronay.
Les rencontres avec les autres membres nous permettent de réfléchir au-delà des problématiques locales, en nous donnant une vision européenne et en nous faisant prendre conscience des problématiques communes et divergentes.
J’ai aussi développé des partenariats avec d’autres structures culturelles du Val d’Oise, des théâtres, des centres culturels de recherche comme Royaumont. L’idée est de travailler ensemble, mutualiser la communication et faire des coproductions.
Cette année, le thème du festival est les « ailes du temps ». Comment en avez-vous imaginé la programmation ?
Il s’agit d’une réflexion sur le temps, l’idée est de faire ressurgir le passé et le mettre au présent, à l’instar de Sacha Guitry : « Quand on interroge le passé, il répond présent ». L’homme a besoin de savoir qui il est et d’où il vient. Avoir conscience de ses racines et de l’histoire est essentiel pour vivre le présent et préparer l’avenir.
Le festival s’ouvre avec sa production phare : le Miroir de Cagliostro, une œuvre symbolique dans laquelle on traverse un miroir pour passer du temps écoulé au temps futur…
Pour cet anniversaire de 2015 nous avons choisi des points de repère dans l’Histoire. Le premier est le 25 octobre 1415, la bataille d’Azincourt, pendant la guerre de Cent Ans. On évoque cet événement car si d’un côté l’Europe était plongée dans la violence et l’horreur, de l’autre elle vit une période artistique et intellectuelle très florissante, comme à la cour de Jean Sans Peur en Bourgogne. L’ensemble Céladon célèbre ce moment de grand raffinement avec un spectacle de chansons anglaises du XIVe siècle.
Un siècle plus tard, en 1515, c’est l’avènement de François Ier qui gagne dans la sanglante bataille de Marignan. L’ensemble Les Meslanges jouera des musiques de Clément Janequin mêlées à des textes de Rabelais et d’Érasme, et à la correspondance de François Ier et sa mère. Le personnage de Louise de Savoie, qui avait confié la régence à son fils, sera mis en valeur dans l’exposition « Une reine sans couronne ? Louise de Savoie, mère de François Ier » au musée de la Renaissance au Château d’Ecouen.
Une conférence, en collaboration avec l’Université inter-âges, fera découvrir la musique des armes au public, qui pourra également visionner le film Le métier des armes d’Ermanno Olmi, qui parle de Jean de Médicis contre les armées de Charles Quint.
Cette projection sera précédée par une intervention d’Olivier Renaudeau, commissaire de l’exposition « Chevaliers et bombardes. D’Azincourt à Marignan, 1415-1515 » qui aura lieu au Musée des Armées aux Invalides, toujours dans le but de créer des synergies avec d’autres acteurs culturels.
Pour 1715 on évoque le tricentenaire de la mort de Louis XIV, avec la récréation de la Messe pour la naissance du Dauphin par le Galilei Consort de Benjamin Chénier : quatre jours de fête animent Venise, dont le point culminant est le déplacement du Doge à la messe commandée par Louis XII à la Sérénissime et composée par Giovanni Rovetta, assistant de Monteverdi à Saint-Marc.
Après l’évocation du temps qui passe, vient le temps fugace et éphémère : avec « Tout est vanité », les Cris de Paris et Benjamin Lazare évoquent la fragilité de l’existence humaine à travers la musique, la littérature et la poésie, ainsi qu’avec le « Salon de musique ou concert à la carte » où deux musiciens composent le programme de la soirée en fonction d’un jeu de cartes…
D’autres sujets et répertoires s’alterneront pendant le festival : de l’exploration de l’univers musical allemand du XVIIe avec « De vitae fugacite » (une vie éphémère), à l’existence de la Vierge avec « La vie de Marie » par l’ensemble Pulcinella d’Ophélie Gaillard, en résidence au festival, en passant par Peau d’âne (la référence à notre thème est bien sûr la robe couleur du temps !), avec la Compagnie de danse l’Eventail, en collaboration avec Visages du monde de Cergy.
Une proposition plus atypique vient se greffer au reste du programme avec « L’amphithéâtre sanglant », au Théâtre des arts de Cergy. Un ensemble de textes sur des faits divers tragiques ont été réunis par l’évêque Jean-Pierre Camus et transformés en quatre nouvelles. On pénètre dans l’antre d’un cabinet de curiosités, où ressurgit le côté sombre du XVIIe siècle, signé par la guerre de Trente ans… le tout dans une atmosphère sarcastique.
Le festival de Pontoise a également sa « folle journée », avec Le Mariage de Figaro, qui mariera Beaumarchais et Mozart dans un spectacle très soigné, inspiré de la commedia dell’arte.
Toujours dans l’esprit de la rencontre entre les arts, le public pourra ensuite assister à la danse du sabre ou de l’éventail, dans le dialogue improbable entre Bach et le théâtre No avec le grand maître Masato Matzuaara et Frédéric Hass au clavecin, en collaboration avec le CRR de Cergy-Pontoise ; puis découvrir le cabinet des fées de Rigodon, une proposition familiale pleine d’humour qui associe au théâtre la danse et la musique ; découvrir la passionnante histoire de Christopher Simpson, prêtre jésuite cloitré devenu soldat royaliste de Charles Ier, grâce à l’Archéron, consort de violes avec comédien, qui fera revivre ce virtuose et théoricien de la viole.
Le festival se terminera par Le Triomphe du temps et de la désillusion avec une distribution d’exception : Raquel Camarilla, Blondine Staskiewicz, Lucile Richardot, Mathias Vidal et Ophélie Gaillard qui clôture ainsi sa résidence au festival. Cet oratorio, composé par Haendel à 21 ans, est une allégorie de la confrontation morale entre plaisir et désillusion…
Enfin, le 5 décembre à l’église de Pontoise, Laurence Pottier et l’ensemble Athénais, chœur de voix de femmes avec continuo, nous offriront des chants de Noël à l’usage des couvents pour un concert caritatif au profit de l’Association des parents et des amis d’enfants de l’Institut Curie, pour l’amélioration des conditions des patients soignés dans le service d’oncologie pédiatrique.
Que diriez-vous au public pour l’inviter au festival ?
Venez au festival et prenez-y du plaisir : « Soyez heureux, n’attendez pas ; Demain n’est que vaine promesse », dit Laurent de Médicis.
Découvrez le programme du festival