C’était en 2013 qu’on créait, au Théâtre des Champs Elysées, les Dialogues des Carmélites de Poulenc, dans la mise en scène d’Olivier Py.
Cette production, qui avait été un grand succès et dont la mise en scène avait gagné le Grand Prix du Syndicat de la Critique en tant que Meilleur spectacle lyrique de l’année 2013/14, revient à Paris avec une distribution de rêve : Patricia Petibon, Sabine Devieilhe, Anne Sofie von Otter, Sophie Koch, Véronique Gens et Stanislas de Barbeyrac.
“Au jardin des Oliviers,
le Christ n’était plus maître de rien.
Il a eu peur de la mort.”
Dans un univers quasi-uniquement féminin, sans intrigue amoureuse, Les Dialogues des Carmélites est un opéra qui aborde des thématiques existentielles profondes telles que la peur et la mort.
Les textes chantés et la musique nous accompagnent dans ce voyage spirituel et nous font ressortir apaisés et sereins, malgré tout. Nous nous envolons nous aussi vers ce ciel étoilé en fond de scène, vers lequel se lèvent les âmes des Carmélites, imprégnées par la Grâce.
Visuellement, tout souligne l’idée du sacrifice, à l’instar de celui du Christ. Dans sa maison, Blanche pose son dos contre le mur et ouvre ses bras en croix, et Madame de Croissy vit son “agonie du Christ” dans un lit spectaculairement imaginé à la verticale. Le tout sous les lumières de Bertrand Killy, coupantes comme la lame de la guillotine.
Les Carmélites meurent dans l’injustice la plus totale, mais avec grande dignité et courage. Leur sororité les pousse à se sacrifier les unes avec les autres, les unes pour les autres, dans une résignation sereine, symbolisée par Sœur Constance, qui convaincra aussi la réticente Blanche de la Force.
La mise en scène en noir et blanc d’Olivier Py est un parfait équilibre entre puissance visuelle et raffinement, dramatisme et retenue, et signifiants explicites et subtiles.
Au lieu de nous distraire du libretto et de la musique, comme souvent cela arrive à l’opéra, les effets visuels rehaussent le sens de ceux-ci et gardent les spectateurs sur le fil du début à la fin.
Chacun des 12 tableaux a son style et sa force, dans une cohérence d’ensemble allant des scènes chantés aux intermèdes, dont on remarque les magnifiques cartons découpés aidant les chanteuses à reconstruire des tableaux vivants de la vie du Christ.

Après avoir été une convaincante Constance, Patricia Petibon est, comme en 2013, une sublime Blanche de la Force. Comédienne extraordinaire et chanteuse sans faille, elle exprime toutes les facettes du personnage et le rend crédible : sa Blanche est tourmentée et effrayée, tout comme forte et résolue. Nous suivons son parcours avec intérêt et nous nous identifions à cette femme pleine d’humanité.
Avec peu d’éléments, Olivier Py arrive à esquisser le contraste entre l’univers bourgeois dans lequel vit Blanche, symbolisé uniquement par des boiseries noires et un somptueux lampadaire, et celui plus sobre du couvent, où l’on retrouve uniquement quelques chaises et une petite table.
Le passage de la jeune femme à la vie religieuse se fait par une ouverture en forme de croix, créé par la séparation des quatre parois composant le mur de sa maison.
En représentant Madame de Croissy, clouée au mur dans un lit vertical violemment illuminé par le bas, Py accentue l’agonie de la femme et l’ironie du sort qui lui fait dire : « J’ai médité sur la mort chaque heure de ma vie, et cela ne me sert maintenant de rien !… »
L’horreur de cette scène est accentué par l’expressivité d’Anne Sofie von Otter, qui nous fait partager sa souffrance. Son émission se fait de plus en plus faible et fatiguée, jusqu’à son dernier soupir.

Très naïve, peut-être un peu folle, la jeune Constance vient amener de la lumière et de l’espoir à ce sombre récit, légère et colorée comme les bulles de savon qu’elle se met à faire de manière inattendue.
Sabine Devieilhe est tout simplement parfaite dans ce rôle, avec son allure juvénile et angélique, qui contraste avec la morosité de Blanche. Sa voix s’élève douce et aérienne, et au final on se rend compte qu’elle était bien plus lucide qu’elle n’en avait l’air.
Il est étonnant de voir comment les 5 grands rôles féminins sont si bien caractérisés, Poulenc les comparait à d’autres héroïnes d’opéra : Blanche à Thaïs, Madame Lidoine à Desdemone, Madame de Croissy à Amneris, Mère Marie à Kundry et Constance à Zerline.
Mère Marie et Madame Lidoine, assurées respectivement par Sophie Koch et Véronique Gens, sont effectivement très différentes, l’une cherchant à assurer son rôle de Prieure, malgré un cœur plein de tendresse et de compassion et l’autre plus froide, mais finalement très humaine aussi. Leurs voix sont également bien différenciées, l’une plus lyrique, l’autre plus dramatique, dans une sorte de complémentarité.
Côté hommes, on a pu apprécier la voix assurée mais chaleureuse de Nicolas Cavallier (le Marquis de la Force) et la puissance, parfois un peu excessive, de celle de Stanislas de Barbeyrac (le Chevalier de la Force), dont on remarquera le touchant duo avec sa sœur.
Bravo également à François Piolino, à la voix riche en harmoniques, qui incarne un Père confesseur très réaliste et à Enguerrand de Hys, un premier commissaire à la voix assurée, agressif devant “les loups” et compatissant avec les religieuses qu’il essaye d’aider.
Dans l’ombre de la Terreur chacun combat donc à sa manière, à ses risques et périls, comme souligne Blanche pendant la discussion avec son frère.

Résignées à la volonté divine, les Carmélites affrontent donc la mort recueillies en cercle, se tenant les mains. Le poignant Salve Regina qu’elles entonnent leur coupe le souffle une par une, tout comme au public.
N’étant pas graphique, la violence de cet assassinat d’innocentes est encore plus extrême. Elles se dirigent vers les étoiles, dans le Salut de la vie éternelle, pendant que nous méditons sur la mort et sur les atrocités dont le genre humain s’est rendu coupable.