Joyce DiDonato / Festival Haendel © Thomas Ziegler
Joyce DiDonato / Festival Haendel © Thomas Ziegler

Festival Haendel de Halle : en l’honneur d’un compositeur européen

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Depuis sa première édition de 1922 le Haendel festspiele anime la ville de Halle en l’honneur de Georg Friedrich Haendel, né ici en 1685. Nous y étions pour sa nouvelle édition dont le thème était “Mondes étrangers”, en resonnance avec la vie de migrant éuropéen de Haendel

 

La maison où Haendel naquit et vécut jusqu’à ses 18 ans est aujourd’hui le siège de la fondation Haendel Haus, un important centre de recherche sur le compositeur dirigé par le musicologue et dramaturge Clemens Birnbaum.
Entièrement rénovée en 2009, la maison abrite un musée (fondé en 1948) qui comporte de nombreux tableaux, dessins, imprimés, instruments et textes autour de trois collections permanentes “Haendel l’européen”, “Instruments musicaux historiques” et “Halle, la ville de la Musique”.

La fondation organise de nombreux concerts, conférences et autres activités culturelles dont le festival Haendel, dont Clemens Birnbaum est aussi le directeur artistique. C’est Berenice Regina d’Egitto, composé en 1736, qui a ouvert l’édition 2018 du festival à l’Opéra de Halle. Berenice revêtait un caractère spécial, car c’était le seul opéra de Haendel qui n’avait pas encore été joué à Halle dans l’ère moderne. Cette année tous les opéras du grand compositeur allemand auront enfin été joués dans sa ville natale. Dans l’esprit de collaboration que le festival entretient avec le monde académique, cette production se base sur une partition toute fraîchement éditée par les éditions Halle Haendel.

 

Haendel, migrant européen
Bérénice, dont l’intrigue se déroule en Asie mineure, introduit également le thème de cette année : “Mondes étrangers”, clin d’œil à la vie de migrant européen du compositeur.
Le programme explore “l’altérité linguistique, religieuse, culturelle et esthétique” avec laquelle Haendel a dû se confronter en son temps. On voit d’un côté les défis de l’adaptation et de l’affirmation de soi dans un milieu étranger, mais aussi des aspects plus positifs comme la découverte, l’enrichissement intellectuel et l’hybridation.
Malgré les difficultés que les voyages comportaient au 17eme siècle, Haendel s’était rendu dans différents pays afin de peaufiner ses habiletés musicales. Son séjour en Italie, par exemple, lui avait permis d’un côté de mieux comprendre la composition dans la langue italienne, dont le résultat le plus notable est Agrippina, mais aussi d’être engagé en tant que compositeur de cour à Hanovre, impossible sans une expérience italienne.
Le maître de Halle avait été influencé par d’autres syles, qu’il avait ensuite transformé en leur donnant sa propre empreinte, comme ses ouvertures, au style français.

Opéras, oratori et pasticci

Pendant les 11 jours du festival, le public a eu le choix entre un large répertoire d’opéras, comprenant le célèbre Giulio Cesare in Egitto, Rinaldo (dirigé par Christophe Rousset, avec Xavier Sabata et Sandrine Piau) et Arianna in Creta (avec l’ensemble Il Pomo d’oro dirigé par Maxim Emelyanychev, interprété par Karina Gauvin, Ann Hallenberg et Francesca Aspromonte). À ceux-ci se sont ajoutés la serenate Parnasso in festa et des oratori, allant de l’incontournable Messie, joué tous les ans au festival dans l’église où Haendel fut baptisé, à Samson et Jephtha.
Petits bijoux négligés, les pasticci sont aussi au programme, car le festival prévoit de les présenter dans leur intégralité d’ici 2022.

On retrouve donc Hercules, mélangeant l’œuvre de Haendel avec la cantate de Bach Lasst uns sorgen, lasst uns wachen BWV 213, puis des operas-pasticci tels qu’Oreste, qui met en avant la peur de l’étranger, sujet malheureusement d’actualité, et Muzio Scevola, où la musique de Haendel du 3e acte est associée à celle de Filippo Amadei et Giovanni Bononcini qui, comme lui, travaillèrent simultanément à cet opéra en 1721.
Jamais mise en scène dans son intégralité après l’année de sa création, cette rareté a été un des temps forts du festival.Des concerts de gala avec des stars du classique étaient aussi organisés. Sur scène se sont donc alternés Joyce DiDonato, Julia Lezhneva, Magdalena Kožená, Sophie Karthäuser, Nathalie Stutzmann et Max Emanuel Cenčić.

C’est dans la belle Urlrichskirche, aux arches décorées de motifs végétaux, car le festival tient à mettre en valeur le patrimoine de la ville et de ses alentours, que nous avons pu assister au récital de ce dernier, accompagné de l’ensemble Armonía Atenea, dirigé par George Petrou.

Le contre-ténor a présenté un programme contextualisant Haendel avec ses contemporains, alternant les airs d’opéras du compositeur originaire de Halle, de son collègue italien Nicola Porpora (1686-1768) et des pièces instrumentales d’Antonio Vivaldi.
Porpora, dont on célèbre cette année le 250ème anniversaire de la mort, est connu pour avoir été le maître de chant des plus célèbres castrati de son temps, dont Gaetano Majorano (1710-1783) dit Caffarelli, et Carlo Broschi (1705-1782), dit Farinelli. Si l’on ne connaîtra jamais le son de la voix de ces hommes, dont la particularité leur coûta très cher, nous avons aujourd’hui le chance d’en écouter le répertoire grâce aux contre-ténors comme Cencic.

La salle a été conquise par sa voix large et puissante mais aussi souple et articulée, comme dans le difficile Cielo se tu consenti de Orlando de Haendel. Sans tomber dans la recherche de l’effet, l’artiste a véritablement mis sa voix au service de la musique et du texte, avec beaucoup d’expressivité et un grand soin dans la restitution des paroles. Dans Torbido intorno Al core, tiré de Meride e Selinunte, le contre-ténor a pu mettre en avant le timbre chaleureux de sa voix, qui coule dense et voluptueuse comme du miel scintillant.

L’orchestre de son côté nous a offert un jeu passionnant et plein d’entrain. Sous la baguette de Petrou, il a fait preuve d’équilibre entre lyrisme et délicatesse, véhémence et dynamisme. On remarquera le beau Concert pour mandoline où le soliste Theodoros Kitsos montre toute sa dextérité, l’orchestre l’accompagnant dans un rythme virevoltant, tout en couleurs.

Autour du festival
Afin que le festival ne soit pas un musée, nous explique Clemens Birnbaum, d’autres genres de musique ont été intégrés au festival, dans un dialogue entre passé et présent. On retrouve donc du jazz (avec le Jazziah, Messiah reloaded par Attilio Cremonesi), des musiques du monde, du rock et aussi de l’électro, mais aussi d’autres formes expressives, comme le slam. Le concert de clôture « Bridges to Classic » représente un bel exemple d’hybridation.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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