Le festival Puccini de Torre del Lago propose chaque année des représentations des opéras les plus connus du compositeur, dans la petite ville où il vécut pendant près de 30 ans. Karine Babajanyan et Piotr Beczala y ont interprété La Bohème.
“Je viens toujours ici en face [ au lac ],
et en bateau je pars chasser la bécassine…
mais une fois j’aimerais y aller
pour écouter un de mes opéras en plein air”.
Giacomo Puccini
En 1891, Giacomo Puccini s’installa à Torre del Lago, une petite ville de Toscane, séduit par son ambiance paisible et inspirante. Il y vivra pendant 30 ans et y composera de nombreux opéras : Manon Lescaut (1893), La Bohème (1896), Tosca (1900), Madame Butterfly (1904), La fancuilla del West (1910), La Rondine (1917) et Il Trittico (1918).
Se souvenant du désir du grand Maître de voir ses opéras représentés au bord du lac, à sa mort, ses amis Giovacchino Forzano et Pietro Mascagni donnèrent vie à un festival en hommage au compositeur.
Depuis 63 ans, le festival Puccini se déroule dans le cadre féerique d’un théâtre de plein air avec une vue sur le lac Massaciùccoli et les Alpes apuanes et offre aux spectateurs le grand privilège de profiter du même paysage à couper le souffle que le Maestro voyait de la fenêtre de sa maison.
Construite en 1899, la villa de Puccini est aujourd’hui un musée, où l’on peut voir comment vivait le compositeur, admirer le grand bureau où il posait ses partitions, à côté du piano sur lequel il composait, la nuit. Outre de nombreux portraits et photos de l’artiste et de sa famille, des chanteurs iconiques de son temps, des partitions et des objets personnels, dans la maison se trouve également sa dépouille, dans une pièce transformée en chapelle funèbre.
A l’extérieur, un panneau sur le mur notifie aux passants l’importance du lieu où “naquirent les innombrables créatures de rêve que Giacomo Puccini tira de son esprit immortel et leur donna vie à travers l’Art”.

Les créatures de rêve qui nous accompagnent ce soir sont Mimi et Rodolfo, interprétés respectivement par Karine Babajanyan et Piotr Beczala ; en parallèle on retrouve les plus légers Musetta (Alessandra Mella) et Marcello (Raffaele Raffio).
La scène s’ouvre sur une grande palette posée sur le sol, devant un écran en guise de toile sur un chevalet. Leur aspect peu charmant est compensé par de poétiques illustrations animées qui y sont projetées dessus, suivant le déroulement de l’histoire : on y voit les toits de Paris avec leurs cheminées caractéristiques (le cadre de vie des quatre jeunes artistes), le ciel du soir couvert par un arc en ciel (la rencontre de Rodolfo et Mimi), le cadre joyeux du café Momus (l’arrivée aguichante de Musetta), la neige implacable des soirées d’hiver (qui nuit tant à la santé de Mimi) et un coucher de soleil sur un paysage lacustre s’étendant à l’infini (infini comme la marque que la protagoniste laisse dans sa brève existence).
L’écoute aurait tiré bénéfice d’un surtitrage pour faire face aux limites de l’acoustique de plein air, mais l’inconvénient est néanmoins atténué par le minimalisme de la mise en espace et du jeu des acteurs, dirigés par le metteur en scène Maurizio Scaparro.
Il est plutôt rare de nos jours d’assister à une mise en scène, qui ne soit pas caractérisée par une superposition d’éléments visuels et de mouvements sur scène, destinés à attirer et renouveler l’attention des spectateurs, comme s’ils étaient incapables de profiter de la musique en elle-même et d’une ligne de chant. Ce choix de faire ressembler le théâtre aux blockbusters américains, a l’effet de déprécier la valeur de l’écriture musicale et finalement de distraire les auditeurs et les éveiller de ce moment de pure transcendance créé par l’Art.
Ce sont bien l’art et le rêve les protagonistes de cette histoire, où l’idéalisme et l’amour luttent contre les âpretés de l’existence mortelle. Le froid, les problèmes d’argent, les difficultés relationnelles et la maladie s’entrelacent à la vie des protagonistes, qui luttent avec toutes leurs forces.
Chez la Mimi de Karine Babajanyan nous observons l’évolution liée à son personnage qui de réservé et figé au début, devient chaleureux et passionné. Ses gestes mesurés mais très chargés symboliquement accompagnent ce parcours, comme quand elle entrouvre son châle au moment de dévoiler ses passions (“Mi chiamano Mimi”), puis le laisse tomber doucement par terre, pour être recueilli par Rodolfo. Sa voix est très stable et maîtrisée, tout avance avec fluidité, du legato dans un italien parfait aux changements de dynamique. On remarque chez Beczala quelques imperfections vocales, mais il nous offre tout de même un émouvant Rodolfo, grâce à son interprétation engagée et son timbre charmant.
La Musetta d’Alessandra Mella est pétillante et exagérée comme on s’y attendait et le Marcello de Raffaele Raffio sait s’imposer sur scène grâce à son jeu naturel et sa voix affirmée. Ici encore, prime une gestuelle subtile, avec Musetta qui sans s’adresser directement à Marcello ni le regarder, capture son attention en jetant des roses rouges (déchirées avec nonchalance du bouquet d’Alcindoro) dans sa direction. Francesco Baiocchi et Carlo Colombara sont respectivement un Schaunard et un Colline très crédibles, tout comme Claudio Ottimo qui assure un Benoît marrant et parfaitement intelligible.

Sous la baguette de James Meena, à la tête de l’orchestre du festival Puccini, la soirée se termine, la main de Mimi se laissant tomber de la chaise longue. L’imagination tragique et sublime de Puccini triomphe encore sous de grands applaudissement. Les robes volantes et les talons claquent, les spectateurs s’acheminent vers leurs voitures, ou remontent dans le bateau. L’eau du lac se froisse encore une fois, pour enfin s’aplatir et s’apaiser, dans le silence de cette magique nuit d’été.