Le festival baroque de Pontoise poursuit son exploration des lieux culturels des alentours et ouvrait ainsi mardi 29 septembre la saison du Théâtre de Jouy-le-Moutier. Après une séance scolaire dont on nous dit en début de représentation qu’elle avait conquis les cœurs des petits – et comment pourrait-on en douter !, la soirée présenta aux adultes l’ingénieux mélange de théâtre et de musique imaginé par Comédiens & Compagnie et le metteur en scène Jean-Hervé Appéré autour du Mariage de Figaro.
Faire dialoguer le texte de Beaumarchais et les airs de Mozart pour produire un objet original qui se réclame avant tout de l’esprit de la commedia dell’arte, voilà le projet. On peut regretter au premier abord que le regard éminemment politique de Beaumarchais sur la société d’Ancien régime ait été ainsi volontairement mis de côté : comme l’annonce le metteur en scène dans sa note d’intention, ici, pas de réflexion sur les faibles et les puissants, mais sur la cruauté des sentiments et sur leur foisonnement. On retient du Mariage l’ingéniosité des situations et la virtuosité des effets – aspect privilégié par Mozart dans les Noces, mais surtout par Rossini dans le Barbier. Le héros est un Arlequin de tréteaux dont le pendant français relève plus du Scapin de Molière que du Figaro de Beaumarchais, le méchant mais pathétique Comte rappelle furieusement les mauvais Harpagon et autres Arnolphe bernés par leur entourage, la Suzanne est une Toinette friponne dont les airs mozartiens détonent par leur mélancolie. Où sont les figures prérévolutionnaires de Beaumarchais ? Elles se sont peut-être égarées sur les planches de l’Illustre Théâtre ou d’une troupe de saltimbanques siciliens.
On s’avoue donc un peu brusqué par l’entrée tonitruante de Figaro et sa pantomime burlesque, par les jeux de jambes et de mains de Chérubin et de Suzanne, par les masques et les voix masquées des personnages secondaires… et puis, rapidement, on se prend au jeu. En vidant la pièce du caractère politique qui est certes son noyau littéraire, mais ne correspond pas ici à l’esprit voulu pour le spectacle, Jean-Hervé Appéré libère son interprétation et se concentre sur sa propre vision de cette « folle journée ». Les comédiens s’y lancent à corps éperdu, et leurs jeux somme toute très différents – de la naïveté sobre de la Comtesse, jouée d’ailleurs par une chanteuse, à l’excentricité appuyée de Marceline – viennent colorer la scène de leurs caractères dans une atmosphère bouillonnante.
L’imperfection voulue de cette troupe de joyeux drilles se retrouve ainsi naturellement dans les prestations vocales un peu légères des comédiens, la superposition parfois discutable des airs et des textes, la traduction en français de certains passages chantés, ou encore la transcription de la partition pour un quatuor à vents plutôt hétéroclite (hautbois, clarinette, clarinette basse et trombone). On commence par hausser le sourcil et on est finalement séduit par le caractère profondément théâtral de la chose : le théâtre, c’est avant tout quelques tréteaux, des comédiens à multiples casquettes, des instruments dont on n’aurait jamais imaginé l’association, et une dévotion totale au caractère des situations. Car c’est finalement cela qui triomphe : le placement des voix n’est pas parfait et on n’a guère de surtitre sur les airs chantés en italien, mais le jeu des comédiens suffit à faire surgir de chaque mot la substance comique ou tragique qu’il renferme pour l’occasion. Et chaque imperfection y contribue, rappelant à chaque fois que nous sommes au théâtre et que c’est bien de cela qu’il s’agit.