Mort de Louis XIV

Louis XIV en 2015…

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Les Journées Européennes du Patrimoine du 19 et 20 septembre avaient pour thème « le patrimoine du XXIe siècle, une histoire d’avenir ». Un intéressant croisement a donc pu s’effectuer entre les célébrations en lien avec le tricentenaire de la mort de Louis XIV, survenue le premier septembre 1715, et cette volonté de vouloir célébrer et consacrer le patrimoine d’aujourd’hui, l’occasion de repenser notre rapport à l’histoire. Louis XIV, monarque absolu d’un pays au fonctionnement bien différent, peut-il encore trouver une pertinence aujourd’hui ?

Le concert du samedi 19 septembre a rempli l’église Notre Dame de Pontoise avec en plus des habitués du festival des visiteurs attirés par ces Journées du Patrimoine. Le titre de ce concert n’était pas sans être alléchant : « Concert royal. La musique à Versailles sous Louis XIV. » La distribution elle-même suffisait à se frotter les mains avec anticipations : Les Folies Françoises, sous la direction (depuis l’archet) de Patrick Cohën-Akenine, accompagnaient ce soir-là la mezzo-soprano Anna Reinhold, pour ce programme Lully, Couperin, Lambert et Pignolet de Montéclair.

Dans mon esprit, « concert royal à Versailles » était synonyme de grand effectif, de trompettes, de vingt-quatre violons et de hautbois en colla parte. Versailles, quoi. Voir monter sur la scène quatre musiciens et une chanteuse nous a montré un Versailles plus intime : l’instrumentation n’étant pas aussi écrite à cette époque que dans les partitions ultérieures, il n’était pas rare d’apporter des changements et de pratiquer l’art de la réduction. Ces grandes partitions que nous connaissons, aimons, et venons à les associer à Versailles, étaient toutes susceptibles d’aménagements en fonction des effectifs disponibles.

Ainsi, le prologue de la tragédie lyrique Armide de Lully, joué par un violon, un théorbe, une viole de gambe, nous a permis de redécouvrir la partition, de retrouver un accès direct à la musique de Lully, sans les artifices de l’orchestration grandiose prévue originellement. Les rythmes surpointés des ouvertures à la française s’estompent, l’ornement se fait plus discret, les regards d’un instrumentiste à l’autre se font plus affectueux : le plaisir de jouer, non pas une partition, mais avec une partition, est communicatif, et une bonne humeur collective ne tarda pas à flotter depuis la scène vers le public. L’arrivée de la mezzo-soprano Anna Reinhold ne fit rien pour la dissiper. Avec l’assurance d’une artiste de renommée internationale et l’humilité intelligente d’une chanteuse aussi douée dans le baroque que l’opéra belcantiste, sa diction impeccable chante avec une passion égale l’amour ardent et la glorification d’un héros.

Le second des Concerts Royaux de François Couperin est un exemple type de crépuscule musical : les grandes fresques dansées pour la mise en valeur des capacités physiques du roi toujours plus déclinantes laissent place à une musique plus intime, toujours inspirée par la danse mais destinée à l’écoute plus qu’à la chorégraphie. Composée l’année de la mort de Louis XIV, cette musique de chambre, grave et tout en souvenir de la solennité de la musique de cour, est un exemple type de cet art de la réduction et de l’instrumentation « à la demande » qui rendait flexible la pratique musicale circonstancielle à la cour. Un effectif aussi restreint permet l’émancipation de la musicalité individuelle des interprètes. Pas besoin de surjouer ici : la moindre intention musicale crée un jeu de décalage ponctuel qui rend cette musique, pensée à la base pour le clavecin seul, absolument riche et volumineuse. Il était par ailleurs intéressant de constater la différence de dynamique entre l’ensemble dirigé du violon et les mêmes musiciens accompagnant les inflexions dramatiques de la chanteuse.

Ce programme offrait une alternance bienvenue entre musique formelle (musique de danse) et musique dramatique (tragédie lyrique, airs de cour, cantate) et permettait ainsi aux Folies Françoises de se dégourdir les archets dans des styles assez éloignés les uns des autres. Après le crépuscule du roi dans les Concerts Royaux par Couperin, les airs de cour de Michel Lambert ont de nouveau mis en valeur l’extraordinaire expressivité de Reinhold : ces airs de cour se basent sur des textes dont la rhétorique est savamment étudiée pour mettre en scène des sentiments complexes. Du travail de deuil après une déception amoureuse (J’ai beau changer de lieu), l’affliction face à la perte brutale d’un amant (Ombre de mon amant) et la complexe ambivalence de sentiments face au dédain (Vos mépris chaque jour), la palette expressive d’Anna Reinhold ne cesse de surprendre et d’émerveiller.

Composée quelques années avant la mort du roi, la cantate La mort de Didon de Michel Pignolet de Montéclair se présente comme un petit opéra : Didon pleure le départ d’Enée qui la quitte, porté par un vent d’inconstance. Dans sa peine, elle invoque les dieux, dans sa colère, elle les déchaîne contre cet amant ingrat et trompeur, avant de mourir elle-même, dans un accès de folie teinté d’une joie morbide. Autant vous dire qu’Anna Reinhold a su puiser en elle l’extraordinaire dispositif émotionnel nécessaire pour l’expression d’une musique aussi psychologique.

Un concert baigné dans la lueur du coucher du Soleil, avec la musique qui vient supporter des textes dont le profond enracinement mythologique n’empêche pas les sentiments exprimés de paraître universels, de paraître pertinents encore aujourd’hui, le tout servi par un ensemble orchestral sobre et élégant qui a su jouer le jeu de l’adaptation et rendre intime le chatoyant des dernières heures du Versailles de Louis XIV ; en somme : Louis XIV en 2015.

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