Guillaume Vincent © DR
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Guillaume Vincent au Goethe Institut de Paris

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Née d’un partenariat entre la Fondation Blüthner et le Goethe Institut, la cinquième saison Blüthner se poursuivait le mardi 27 février avec l’un de ses pianistes invités, Guillaume Vincent. Retour sur cette manifestation musicale, à la croisée des échanges culturels franco-allemands. 

Non loin de la place d’Iéna se trouve le Goethe Institut, au 17 de ladite avenue. L’immeuble à la sobre modernité est doté d’un auditorium d’environ 200 places qui accueille six rendez-vous pianistiques dans l’année. Les artistes invités, tous lauréats de concours internationaux, ont le libre choix de leur programme, pourvu qu’il soit composé autour d’une œuvre centrale du répertoire allemand. Après Iddo Bar-Shaï, Oxana Shevchenko, et Varduhi Yeritsyan, ce fut au tour du jeune pianiste français Guillaume Vincent de proposer un concert sur le thème de la nature, fil rouge de la saison. Il avait choisi un programme résolument romantique avec les quatre ballades opus 10 de Brahms suivies d’extraits de la première Année de pèlerinage, la Suisse, de Liszt: quoi de plus naturel pour ce natif savoyard que le cadre des alpages helvètes!

Œuvres de jeunesse composées dans la pensée de Clara Schumann, secrète dédicace, les ballades, postérieures néanmoins à ses sonates, n’en portent pas moins déjà la griffe du compositeur: tout Brahms s’y trouve. Guillaume Vincent en donne une interprétation inspirée, et tire du grand queue Blüthner au timbre si particulier tout ce qu’il est à même d’offrir, trouvant dans les respirations, l’écoute des silences, la profondeur et la largeur de ton requises, la concentration du son, notamment dans la première, si sombre, inspirée comme on le sait d’une effroyable légende écossaise. Sans forcer l’instrument, aux basses manquant de rondeur, il laisse s’épanouir le chant en courbes tendres dans la seconde, sous les arpèges éoliens de sa main droite. La troisième ballade en si mineur commence haletante: le pianiste restitue parfaitement son atmosphère fantastique, dont il dissout ses apparitions, ces vagues cloches et ce coucou étrange entendus dans la partie centrale, dans les accords de la fin. Le climat s’éclaircit un peu dans la quatrième en si majeur, qui commence comme une valse. Guillaume Vincent sait y varier les éclairages: il donne à sa ligne mélodique, longue et magnifique, très schumannienne, un vent de fraîcheur, un sentiment de printemps, tisse un nuage sur la palpitation du passage suivant, puis laisse percer furtivement la lumière de la mélodie qui se fige laissant place à la ferveur du choral final.

On quitte les paysages du nord pour les plus riantes vallées suisses, avec Liszt et sa Première année de pèlerinage. Le pianiste donne à La Chapelle de Guillaume Tell la majesté et la déclamation qui sied à son hymne, en prélude Au Lac de Wallendstadt, joué avec grande délicatesse: son chant serein et simple s’y déploie comme dans la lumière d’un jour naissant, sur l’onde d’une main gauche d’une belle fluidité. La rêverie poétique se poursuit avec Les Cloches de Genève, dans la douceur du toucher et une générosité de jeu faisant de l’épisode central, climax de la pièce, un moment de pure exaltation. La Vallée d’Obermann est la quatrième et ultime pièce donnée en miroir aux ballades brahmsiennes. Guillaume Vincent s’efforce de trouver le soutien sonore et le legato des graves de ce piano dont les basses sont difficiles à dompter. Il demeure dans la concentration de l’expression, dans la tension lyrique jusqu’aux déferlements d’octaves particulièrement impressionnants sous ses doigts, et parvient à extraire de l’instrument des couleurs incandescentes ou chaleureuses suivant les passages, les registres, faisant montre d’une technique sans faille.

Aux bravos qui fusent il offre une Humoresque de Dvorák très finement troussée, puis le célèbre Liebestraum n°3 de Liszt, à un public touché au cœur.

Le moment de partage se prolonge avec l’artiste autour d’un verre offert dans le grand foyer, et l’on évoque déjà les prochains concerts: ceux d’Emmanuel Christien (24 avril) et d’Anastasia Terenkova (26 juin), mais aussi ceux qui seront donnés au Goethe Institut de Lyon les 16 mai et 25 avril avec les mêmes pianistes. La saison Blüthner, c’est une chance, gâte aussi les lyonnais!

Diplômée de l’Ecole Nationale d’Architecture de Nantes, Jany Campello a également suivi des études musicales. Titulaire d’un diplôme d’Etat de professeur de piano, délivré à l’issue de sa formation au PESMD de Bordeaux-Aquitaine, elle consacre depuis quelques années sa vie à la musique, après avoir exercé son métier d’architecte. Sa pratique musicale depuis l’âge de 9 ans (piano, musique de chambre, et piano-chant), ses activités pédagogiques, sa forte implication au sein du festival Sinfonia en Périgord jusqu’en 2014, auparavant son engagement auprès de musiciens comme l’ensemble A Sei Voci dirigé par Bernard Fabre-Garrus, dont elle a été l’agent artistique, sont autant de jalons qui ont nourri sa sensibilité et sa perception du monde musical. Depuis 2016, journaliste de la PMI, elle continue à enseigner le piano dans les conservatoires. Elle publie des chroniques de concerts et festivals, des interviews de musiciens et de personnalités ayant un lien avec la culture, des dossiers thématiques pédagogiques, pour le magazine Pianiste et Classicagenda. Elle a été l’invitée de Jérémie Rousseau à la Tribune des Critiques de Disques sur France Musique. Elle est régulièrement sollicitée par les labels discographiques Aparté Records et Evidence Classics pour la rédaction de textes introductifs de CD.

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