Célimène Daudet © Hadrien Daudet
Célimène Daudet © Hadrien Daudet

Messiaen et Debussy par Célimène Daudet

3 minutes de lecture

Voici un disque qui célèbre d’ores et déjà joliment l’« année Debussy », laquelle voit et verra fleurir on s’en doute pléthore d’enregistrements, plus ou moins enthousiasmants. Mais ne nous y trompons pas, et Célimène Daudet s’en défend bien, si son CD réserve une part de choix à l’illustre compositeur français, la place donnée à son cadet Olivier Messiaen n’en est pas moindre: le projet de la pianiste se situe bien au-delà d’un opportunisme calendaire. Célimène Daudet nous place devant une évidence qui jusque là avait échappée à plus d’un, celle de bousculer l’intégrale debussyste en substituant à son premier cahier les huit Préludes de Messiaen. Quelle belle idée que ce voisinage jamais osé ! Mariage heureux de deux cycles qu’une quinzaine d’années sépare. 

Cette association que l’on pourrait trouver incongrue apparaît à l’écoute très convaincante. Quoique les vocabulaires harmoniques des deux compositeurs soient éloignés, leurs langages se rejoignent dans la richesse de la palette sonore, la dimension spatiale et l’évocation poétique, Messiaen faisant écho à Debussy et à la modernité de son deuxième livre. Sous un toucher d’une délicatesse infinie, Célimène Daudet transporte les Préludes de Messiaen dans un univers onirique en apesanteur: une colombe se pose, gracile, et le zéphyr de ses ailes bat tendrement l’air transparent. La magie d’une scintillante apparition éclaire le Chant d’extase dans un paysage triste au cœur de sa calme mélancolie. Le Nombre léger a la vivacité et la parure colorée d’un colibri virevoltant. Il y a dans le jeu de la pianiste quelque chose d’immatériel, d’infiniment doux, qui donne à ces miniatures aux titres poétiques l’irréalité du rêve, où rien ne pose ni ne pèse, tels des mirages mouvants. Elle sait ainsi libérer notre imaginaire, par le mystère, l’énigme parfois, dont elle imprègne chaque résonance, chaque silence, dans l’ondoiement des traits, la suspension des lignes. Des triples notes volatiles et chatoyantes des Sons impalpables du rêve au jubilatoire Reflet dans le vent, la couleur chère à Messiaen, est omniprésente, dans ses nuances les plus subtiles. Célimène Daudet ne presse pas les tempi, prend le temps de dessiner les courbes, d’en extraire l’expressivité, sans rien forcer. Son jeu contemplatif rend l’écoute délicieusement paisible. Aucune tension, aucune raideur, aucune lourdeur…

 

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Les Préludes de Debussy prolongent le voyage dans des univers peut-être moins célestes – aux caractères plus contrastés et variés- mais n’en sont pas moins habillés de mystère. Brouillards oppose des sonorités cotonneuses, étouffées, à la lumière perlée des gerbes de notes aigües. Suit une série de « cartes postales », une imagerie où chaque miniature est un monde en soi. Ainsi la Puerta del vino a ce côté fabriqué d’un chromo orientaliste, avec ce qu’il comporte de naïveté. Bruyères déploie tout en souplesse et simplicité la lumière de sa douce cantilène. Le Debussy de Célimène Daudet se veut tantôt rêveur (La terrasse des Audiences du Clair de Lune), tantôt vif et subtilement humoristique (General Lavine). Son toucher particulièrement aérien sied à la fugacité des « Fées sont d’exquises danseuses ». On est séduit par la personnalité de cette pianiste dont le jeu souple, l’épanouissement constant du son, la poétique nous rappellent l’historique interprétation de Walter Gieseking. Sa version toute en limpidité et aux lignes pures, est aux antipodes de celle qu’enregistra il y a une petite poignée d’années Alain Planes, aux attaques digitales par trop incisives, et par endroits aux tempi contestables. Elle trouve sa place auprès des meilleures versions récentes : celle de Jean-Efflam Bavouzet, éclatante de couleurs, de saveurs et de virtuosité, et celle enfin de Philippe Bianconi, à la profondeur et à la sensualité racée – mais cette fois sous l’éclairage de Messiaen, qui y puisa bien des choses.

 


CD Messiaen, Debussy – Préludes pour piano, par Célimène Daudet

Messiaen: Huit préludes. Debussy: Préludes, deuxième livre.

Label NoMadMusic. Piano Yamaha CFX.

Diplômée de l’Ecole Nationale d’Architecture de Nantes, Jany Campello a également suivi des études musicales. Titulaire d’un diplôme d’Etat de professeur de piano, délivré à l’issue de sa formation au PESMD de Bordeaux-Aquitaine, elle consacre depuis quelques années sa vie à la musique, après avoir exercé son métier d’architecte. Sa pratique musicale depuis l’âge de 9 ans (piano, musique de chambre, et piano-chant), ses activités pédagogiques, sa forte implication au sein du festival Sinfonia en Périgord jusqu’en 2014, auparavant son engagement auprès de musiciens comme l’ensemble A Sei Voci dirigé par Bernard Fabre-Garrus, dont elle a été l’agent artistique, sont autant de jalons qui ont nourri sa sensibilité et sa perception du monde musical. Depuis 2016, journaliste de la PMI, elle continue à enseigner le piano dans les conservatoires. Elle publie des chroniques de concerts et festivals, des interviews de musiciens et de personnalités ayant un lien avec la culture, des dossiers thématiques pédagogiques, pour le magazine Pianiste et Classicagenda. Elle a été l’invitée de Jérémie Rousseau à la Tribune des Critiques de Disques sur France Musique. Elle est régulièrement sollicitée par les labels discographiques Aparté Records et Evidence Classics pour la rédaction de textes introductifs de CD.

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