La soirée à laquelle nous avons assisté à Amsterdam se déroule en trois temps : une première performance “one-woman-band” de la suédoise Stina Force, suivi d’Hope & Heavy metal de Sigrid Stigsdatter, puis un DJ set de Juliet Aaltonen. Nous nous concentrerons sur la proposition de la chorégraphe Sigrid Stigsdatter qui a travaillé en collaboration artistique avec Juliet Aaltonen, artiste internationale londonienne travaillant sur la plasticité du son.
Le centre Dansmakers se situe à Amsterdam Noord. Anciennement fabrique de tissus, l’entrepôt est aujourd’hui réaménagé en plateforme internationale de création et production chorégraphique. Le théâtre dispose de plusieurs lieux de travail et d’une scène. Les missions du centre sont le soutien artistique, financier, promotionnel et la possibilité de présenter le travail au public. Il accueille principalement les chorégraphes dits “émergeants”.
Si au départ l’aura et la personnalité qu’incarne Sigrid Stigsdatter dans Hope and Heavy metal nous est peu convaincante, elle en reste néanmoins intrigante. Son regard soutenu vers le public et son immobilité au sol questionnent dès les premières secondes le spectateur. On s’étonne, au fur et à mesure de la proposition, à percevoir les multiples facettes et à entrer dans l’enchevêtrement du personnage.
Hope & Heavy metal a reçu le prix Moving Forward Young Dance Makers Award.
Une personnalité complexe soulignée par la forme “solo”
Allongée sur le sol et immobile, une silhouette androgyne à la présence forte et au regard puissant attend que les spectateurs s’installent. Habillée d’un T-shirt, d’un pantalon large et de longs cheveux rebelles, la nonchalance et l’attitude légèrement provocante questionnent le spectateur sur la personnalité et l’intention de l’artiste. Des passages de musique techno, un stroboscope, de la fumée, et une chorégraphie sauvage et rythmée continuent de nous orienter vers une image masculine et un besoin profond d’extériorisation. Jusque là, saisir un sens ou une direction n’est pas des plus simple.
Progressivement, l’artiste, en se dénudant, perd l’identité masculine que le vêtement lui avait donnée, pour offrir une personnalité plus sincère. Le caractère du personnage devient alors multiple et complexe et c’est en cela qu’il devient intéressant.
Féminisme
Sigrid Stigsdatter est vocaliste, la parole est donc essentielle dans son travail. Elle énonce un texte : “I don’t know who I am…”. Sa parole s’efface progressivement dans le volume allant crescendo de la musique, lui coupant son droit à la parole.
Poitrine nue, le personnage se livre à nous. Des accessoires s’accumulent et jonchent le sol. Ils sont tournés peu à peu à la dérision et à l’extrême : la chorégraphe s’enduit le corps de crème hydratante, détache ses cheveux puis met du rouge à lèvre d’abord sur ses cuisses, puis sur sa bouche. La performance prend sens. Ce passage est équilibré et est très loin d’un “too much” féministe. Les éléments qu’elle utilise donnent du sens et de la profondeur à la réflexion, au combat. Cependant, un malaise s’installe. Le personnage reste indomptable, sauvage, et à distance de ses propres actions. Une rage profonde des codes de la société se fait sentir. En tant que spectateurs, nous sommes à ce moment précis, captivés par les enchainements d’actions plus ou moins désopilantes.
La réflexion par l’humour et la dérision
La chorégraphe s’enduit les mains de crème pendant de longues minutes. Ce passage est esthétiquement intéressant puisqu’il oscille entre sensualité de la femme et détestation du corps. Un moment contemplatif et suspendu vis-à-vis du reste de la proposition. Sensuel, mais qui dit beaucoup sur la condition féminine imposée par la publicité. Le mépris pour la société est maintenant évident. Le sarcasme des codes parfois absurdes de la condition de la femme est mis en avant par quelques rires dans le public. La démonstration fonctionne.
Maintenant enduite de crème sur la totalité du corps, elle tourne sur elle-même, comme une poupée fixée sur un socle. Exposition de la femme-objet. “Don’t kill me” un refrain qu’elle chante en boucle jusqu’à ne plus en comprendre les mots, le sens.
Solitude, mais espoirs. Le spectateur est dans un triangle réflexif : on passe sans cesse de soi à la chorégraphe, puis à notre propre rapport aux codes de nos civilisations.
On peut évidemment se reconnaitre dans la complexité de cette femme partagée entre sa condition et cette injustice qui la ronge. Nous ressortons du théâtre en pleine réflexion et convaincue de la portée du propos.