L’ambition de Léo Marillier, jeune violoniste de 20 ans, diplômé du Conservatoire national supérieur de Paris — et bientôt également du New England Conservatory de Boston — est de se produire avec de jeunes musiciens américains pour une tournée transatlantique en France et aux Etats Unis.
Il a donc eu l’idée de fonder Inventio, un laboratoire de recherche destiné aux musiciens en début de carrière, qui propose des programmes inédits, distingués par un fil rouge personnel : poétique, esthétique ou pédagogique. Nous l’avons rencontré pour en savoir plus.
Quelle est la genèse d’« Inventio » ?
Pendant l’organisation de Fest’inventio, le festival d’Inventio, nous nous sommes rendus compte de la nécessité d’une structure administrative et logistique.
Sous l’impulsion de Catherine Pierron, nous avons donc créé l’association qui, autour d’un premier noyau de musiciens et de compositeurs, a rapidement fédéré des passionnés de musique aux compétences les plus différentes, qui assurent une magnifique synergie au projet.
Actuellement, Inventio suscite la confiance de quelques mécènes privés, bénéficie du partenariat de la Fondation Long-Thibaud, de la Fondation Dumeste et de la Fondation des États-Unis, et s’appuie sur le parrainage de deux de mes mentors, Alexis Galpérine et Stephane Tran Ngoc.
Vous vous définissez « laboratoire de recherche », dans quel sens ? Quelle est votre vision ?
Inventio se caractérise par son ouverture aux démarches innovantes : nous accueillons avec bienveillance les porteurs de projets créatifs et originaux.
Pour la saison 2016-2017 — accueillie dans le joli petit Auditorium Bernanos à Paris — nous avons prévu des concerts « Classiques et… inventifs » articulés autour de la phrase-slogan « Express your I » (Exprimez votre Je). Jouant sur la polysémie du i, la lettre et le « je », l’exercice consiste à élire un terme – adjectif, verbe, nom – dont la première lettre est “i” et d’en faire le fil directeur d’un programme de concert.
Cet exercice de style presque littéraire, et fortement projectif, est un terrain de jeu insolite et inédit auquel de jeunes talents, lauréats des meilleurs conservatoires et distingués lors de concours internationaux, se sont prêtés.
L’idée est d’amener la musique de manière joyeuse et renouvelée vers l’auditoire, ou selon l’expression de Schumann : « apporter une lumière dans le cœur des hommes »…
Vous avez fait vos études de violon en France et aux États Unis, pourriez-vous nous parler de comment l’enseignement diffère dans les deux pays et de comment cette expérience internationale vous a influencé ?
Même si j’ai encore bien peu de recul concernant les trois dernières années passées à Boston, il est évident que cette expérience internationale m’a été grandement profitable.
Si l’enseignement a bien entendu la même valeur des deux côtés de l’Atlantique — et je m’en tiendrai à Boston, car je préfère ne pas généraliser — il existe en Amérique une fascination de la clarté du produit musical et de la forme sonore de la musique. La recherche de la plasticité peut parfois éloigner de l’exploration du fond, mais cela n’est autorisée aux USA que si l’on possède une forme parfaite, une intonation, une régularité d’archet irréprochable, après que l’on a acquis une assise technique sans faille.
La présence de grandes traditions musicales est commune aux deux pays : beaucoup des professeurs à Boston sont issus de lignées très honorables telles que l’école franco-belge : n’oublions pas que Louis Krasner et Rudolf Kolisch ont vécu et enseigné à Boston, leurs élèves aussi.
D’un point de vue plus académique, il est également difficile de comparer parce que la dimension des conservatoires est disparate et autorise de ce fait des expériences hétérogènes : si l’orchestre et la musique de chambre disposent de places privilégiées à Boston — sur le même pied que le travail de soliste — les classes d’analyse et de théorie et la relation avec le professeur principal sont davantage mises en valeur au Conservatoire national supérieur de Paris, à mon sens.
A Boston, dès la première année, j’ai été sollicité à prendre part à de nombreux projets par de jeunes compositeurs et chefs d’orchestre, mais aussi par des orchestres comme le Boston Philharmonic Youth Orchestra et le Boston Philharmonic Orchestra.
Vous êtes directeur artistique de Fest’inventio 2016, dont le thème est « Transatlantique ». Comment en avez-vous conçu le programme ?
Transatlantique est la rencontre entre les traditions française et américaine, en termes de répertoire et d’interprétation.
Nous avons choisi de mettre en valeur l’art vocal, car j’ai la conviction qu’une mélodie et une song sont des choses bien différentes, comme le lied du reste. Ainsi, Barber, Vaughan Williams, Berlioz, Ibert et Debussy se rencontrent et se font écho dans des œuvres dont le thème est le voyage.
Le groupe de musique de chambre que nous formons avec SoYoung Sarah Yang, Charlotte Malin et Joey Gotoff est malléable, en allant du duo au quatuor. Nous emportons avec nous trois œuvres de compositeurs du New England Conservatory dont Ari Sussmann et Robert Burdick, que nous mettons en rapport avec Chausson, Ravel, Satie et Franck.
Nous interprétons également le Companion guide to Rome d’Andrew Norman, qui raconte le voyage d’un américain à Rome à travers ses églises. Il en retrace magnifiquement la chaleur, la lumière et la structure dans une œuvre pour trio à cordes, que l’on mettra en miroir avec le 3ème trio de Beethoven, à deux siècles d’intervalle.
De Bach, j’ai voulu choisir une œuvre limite, à vrai dire la seule œuvre-monde du programme : ses Variations Goldberg dans la très belle transcription pour trio à cordes d’Annette Bartholdy, qui s’ouvrent sur un infini de possibilités.
Cette vision du renouveau et de l’espérance, de joie dans l’action, transmet un message essentiel au public. En guise de prélude, il y aura un hommage à Bach avec la Ciaconna pour violon seul de Cody Forrest, doctorant au New England Conservatory.
J’aimerais noter aussi qu’aucun des lieux des concerts de Transatlantique n’est une salle à proprement parler ; églises, lieux historiques, et salons sont reconvertis dans l’espoir d’atteindre des publics variés, et la plupart de ces lieux sont liés à la culture française ou américaine. Cela a été rendu possible en partie grâce au partenariat avec les associations françaises Jeunes Talents, Plein Jeu et Georges V.
Quel est le concert à ne pas manquer à Fest’inventio 2016 ?
Si tous les concerts sont uniques car les programmes éveillent des sentiments bien différents, mon coup de cœur va au concert à l’Abbaye de Preuilly. Les vestiges de cette abbaye cistercienne transmettent les vibrations de neuf siècles de prière et de regards vers le haut, d’idéal, dans une campagne paisible, méditative. Le concert « Réminiscences avec Bach » aura lieu à ciel ouvert, au cœur de l’abside de l’Abbaye — bâtiment dont l’ossature a été conservée.
Avez-vous déjà des idées pour la prochaine édition ?
A la rentrée 2016 on présentera la série « Classiques et… inventifs », où Robert Schumann s’alternera à Charles Louis Eugène Koechlin, où l’on passera d’une dimension “historique” comme la censure musicale dans l’Allemagne nazie, à une plus poétique avec le programme « Incendie aquatique enraciné dans l’air – exaltation des 4 éléments ».
Pour l’édition 2017, j’ai un rêve : j’écris actuellement un arrangement pour quintette avec piano de Tristan et Isolde que j’aimerais monter avec des œuvres telles que le Concert de Chausson.
On pourrait imaginer un été autour de grands chefs d’œuvre de la musique de chambre, joués dans des lieux totalement inédits… J’ai mon idée mais chut, secret !