Les walkyries dans La Walkyrie au Festival de Bayreuth 2017 © Enrico Nawrath
Les walkyries dans La Walkyrie au Festival de Bayreuth 2017 © Enrico Nawrath

La Walkyrie, observatrice intègre d’un monde en ruine

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Première journée du Ring à Bayreuth. Dans La Walkyrie triomphent la poésie et la subtilité, avec un sous-récit en filigrane imaginé par le metteur en scène Frank Castorf.

 

Parmi les quatre opéras qui composent l’anneau du Nibelung, La Walkyrie est sans doute le plus poétique, entre le coup de foudre entre Siegmund et Siegliende, jumeaux separés à la naissance ; le dialogue entre Siegmund et Brünnhilde qui, émue par la pureté des sentiments de l’homme, décide de défier le vouloir de son père ; et enfin les adieux entre Brünnhilde et Wotan qui, le cœur lourd, punit la walkyrie désobéissante en la plongeant dans un sommeil éternel.

Après L’or du Rhin dans un motel du Texas, il était difficile de prévoir comment Castorf allait nous surprendre dans sa mise en scène. Le rideau levé, la découverte est des plus agréables : la maison de Siegliende est une superbe dacha s’élevant sur deux étages, surmontée par une tour. De jolies lumières décorent une terrasse, en lui conférant un air cosy qui pourrait nous faire croire qu’ici règnent l’amour et le bonheur.
Cela n’est, bien évidemment, pas le cas. Brandissant une pique embrochant une tête décapitée, Hunding rentre à la maison, et quelques secondes suffisent à nous faire part du tragique quotidien de Sieglinde, prisonnière d’un mari autoritaire et violent.

Wotan dans La Walkyrie au Festival de Bayreuth 2017 © Enrico Nawrath
Wotan dans La Walkyrie au Festival de Bayreuth 2017 © Enrico Nawrath

La rencontre entre le cruel Hunding de Georg Zeppenfeld et Siegmund (un émouvant Christopher Ventris, à la voix limpide et claire) se déroule dans un beau jeu de plans, où Sieglinde se situe en haut dans la terrasse, en train d’accomplir ses tâches ménagères, pendant que les deux hommes discutent en bas, se déplaçant entre l’escalier et le porche.
La structure de base de la scénographie d’Aleksandar Denic, sur plusieurs plans et animée diagonalement par un escalier, est magnifiquement réussie. Très versatile, elle est réutilisée dans chaque volet de la tétralogie, mais adaptée au contexte de façon à nous immerger dans des ambiances différentes, tout en gardant une certaine familiarité.

Sieglinde et Siegmund dans La Walkyrie au Festival de Bayreuth 2017 © Enrico Nawrath
Sieglinde et Siegmund dans La Walkyrie au Festival de Bayreuth 2017 © Enrico Nawrath

Grâce à l’arrivée de Siegmund, la vulnérable Sieglinde prend son courage à deux mains et ose se rebeller contre son  mari : nous la voyons par exemple réagir à une énième agression de Hunding, en le menaçant avec le couteau qu’elle utilisait pour couper des légumes, puis lui servir un somnifère pour pouvoir enfin s’enfuir. Après avoir obligé sa femme à le suivre dans la chambre, pour une habituelle séance de viol au sein du couple, Hunding s’endort enfin. Une magnifique vidéo, projetée sur un auvent en tissu devenu voile, nous montre l’homme au lit, tourmenté par des cauchemars, dans une puissante scène inspirée du cinéma expressionniste allemand.

La soprano Camilla Nylund (Sieglinde) sert magnifiquement la musique avec sa voix ample et chaleureuse et rend cette héroïne humaine et attachante.
Enfin seuls, les deux amants se déclarent leur amour incestueux — que seule la beauté du texte et de la musique de Wagner peut rendre “acceptable” — et prennent possession de Nothung, l’épée que Wotan avait enfoncé dans le frêne du monde.

Entre temps, une vidéo nous montre Fricka (interprétée, comme dans L’or du Rhin, par la convaincante et versatile Tanja Ariane Baumgartner) flirter au téléphone avec Wotan, joué ici par un nouveau chanteur (John Lundgren, à la voix imposante et assurée, dont on remarquera le superbe duo avec Brünnhilde). Tout comme dans un film de David Lynch, ce changement d’interprète ne perturbe aucunement la compréhension de l’histoire, d’autant plus que nous nous trouvons maintenant en orient.
Une énième scène de ménage nous attend à l’acte 2 : Fricka ordonne à son mari de ne pas protéger Siegmund et Sieglinde, car lui aussi doit respecter ses propres lois. Pendant le sermon, Wotan continue de lire son journal, puis, agacé, s’éloigne d’elle en faisant semblant d’être occupé. Mais le choix est inéluctable entre l’amour pour ses fils Sigmund et Sigliende et le pouvoir, et le maître des dieux finit par préférer ce dernier.

Wotan et Fricka dans La Walkyrie au Festival de Bayreuth 2017 © Enrico Nawrath
Wotan et Fricka dans La Walkyrie au Festival de Bayreuth 2017 © Enrico Nawrath

Brünnhilde a donc rejoint ses sœurs, pour en chercher la protection, mais Wotan la retrouve pour lui infliger l’ultime châtiment, après un émouvant duo, qui se termine par un baiser incestueux et inattendu. Nous remarquerons la belle scène où les révolutionnaires montent à pas de course le grand escalier à l’assaut du puits de pétrole, pour ensuite aller mourir dans les bras des Walkyries (ici, plus princesses que guerrières).
Catherine Foster incarne une Brünnhilde élevée au dessus du monde insensé des humains et des Dieux, fidèle à elle-même et à ses valeurs, et nous offre une mémorable prestation d’actrice et de chanteuse, qui nous prend aux entrailles, grâce aussi à une direction tout en lyrisme de Marek Janowski à l’orchestre.

Avec cette Walkyrie, Castorf va véritablement contre la musique et le libretto en nous proposant en filigrane une autre histoire, toujours sur le fil conducteur de l’or noir. Nous passons du capitalisme américain de l’Or du Rhin, au communisme révolutionnaire soviétique en découvrant les films de propagande d’Eisenstein et les journaux révolutionnaires, en sympathisant avec des intellectuels en fuite. Ce récit parallèle, qui s’emboîte relativement bien avec le reste, rajoute un intéressant niveau de lecture au cycle de l’anneau.
Encore une fois, l’univers mythologique des légendes nordiques, transpose notre réalité et nous conduit à nous interroger sur les choix des hommes, leurs motivations erronées et les conséquences de leurs actes.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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