Après une première mise en scène en 1992, l’opérette Les Mousquetaires au couvent (1880) de Louis Varney est reprise à l’Opéra Comique.
Dans son ouvrage intitulé Annals of Opera 1597-1940, Alfred Loewenberg remarque que Les Mousquetaires au couvent fut l’opérette la plus populaire de Louis Varney (1844-1908), un compositeur prolifique dans ce genre. Le musicologue signale que l’ouvrage, créé au Théâtre des Bouffes-Parisiens le 16 mars 1880, fit le tour du monde en l’espace d’une quinzaine d’années avec des représentations en français à Bruxelles, Genève, Le Caire, Mexico, New York, Buenos Aires et Berlin, en anglais à Londres et Boston, en espagnol à Barcelone, en russe à Saint-Pétersbourg, en allemand à Vienne et Berlin, et en italien à Rome. L’influence des opérettes d’Offenbach sur celle de Louis Varney est évidente. Elle se manifeste notamment par la récurrence des rythmes de danses et peut être expliquée en grande partie par le fait que le chef d’orchestre Alphonse Varney (1811-1879), le père de Louis, avait pris en 1857 la direction de l’orchestre des Bouffes-Parisiens, théâtre créé par Offenbach en 1855, avant d’en assurer la direction générale de 1862 à 1864. Louis Varney eut ainsi, dès son enfance, une relation privilégiée avec l’abondante production lyrique d’Offenbach.
Les frontières génériques entre les répertoires des différents théâtres parisiens ne sont plus les mêmes aujourd’hui qu’au XIXe siècle. Tandis que le Théâtre de la Porte Saint-Martin s’ouvre actuellement au répertoire de l’opéra-comique, avec Le Guitarrero (1841) de Scribe et Halévy, l’Opéra Comique poursuit depuis 2007, sous la direction de Jérôme Deschamps, son exploration du répertoire de l’opérette, après la mise en scène d’œuvres d’Emmanuel Chabrier, Francis Poulenc, Jacques Offenbach, Reynaldo Hahn, Alexandre-Charles Lecocq et Johann Strauss. Notons cependant que Les Mousquetaires au couvent avait été représenté une première fois à l’Opéra Comique en 1992. Pour sa dernière mise en scène en qualité de directeur de l’Opéra Comique, Jérôme Deschamps confirme, de manière claire et sans équivoque, sa volonté d’inscrire durablement le genre de l’opérette dans la programmation du théâtre en choisissant un pilier de ce répertoire en France sous la Troisième République. C’est en raison de cette circonstance particulière que la fin de cet article consiste en une présentation de quelques procédés humoristiques utilisés par le metteur en scène, plutôt qu’en une analyse de la partition et de son exécution. Si ces procédés nous ont fait rire, il faut cependant garder à l’esprit que leur emploi aurait été moins évident, et peut-être moins approprié, dans le répertoire habituel de l’Opéra Comique. Il suffit de relire la violente critique publiée le 3 janvier 1861 par Hector Berlioz dans le Journal des Débats, à l’occasion de la création à l’Opéra Comique de l’opéra-bouffon Barkouf d’Offenbach, pour rappeler combien les critiques musicaux opéraient alors une distinction très nette entre les genres de l’opéra-comique et de l’opérette, cette dernière étant le plus souvent considérée, non sans condescendance, comme le lieu d’expression du “bas comique”.
Jérôme Deschamps propose un spectacle qui ne manque pas d’originalité et interprète avec un plaisir communicatif le rôle caricatural du gouverneur. Certains dialogues parlés ont été transformés par le metteur en scène dans un but humoristique. La citation anachronique de quelques marques alimentaires actuelles surprend et amuse le spectateur. Ainsi, l’abbé Bridaine, Justin de son prénom, a un cousin qui travaille dans le secteur de la charcuterie. À la recherche d’aliments cachés dans les bureaux des élèves du couvent pour se rassasier, Brissac espère trouver un yaourt, une Vache-qui-rit ou des gaufrettes, avant de découvrir une Ovomaltine. Le langage familier des adolescents d’aujourd’hui est parodié. On entend de cette manière l’abbé Bridaine s’exclamer « J’hallucine » ou l’élève Agathe maugréer « Vas-y comment elle me saoûle ». À l’opposé, un autre effet parodique est la courte imitation par Gontran de Solanges du langage emphatique du théâtre classique : « Mais quel est donc ce dieu vengeur qui de son ire s’oppose à nos vœux ? Et quel sort si funeste, quel injuste courroux, Par d’infâmes truchements m’entraîne loin de vous ? » L’anticléricalisme du livret est appuyé de manière bouffe par la mise en scène. Outre les personnages de l’abbé Bridaine, de la mère supérieure et de la sœur Opportune dont le ridicule est largement souligné, Jérôme Deschamps transforme Jésus-Christ en un figurant qui descend de la croix pour déjeuner à l’insu des religieuses du couvent et danse le cancan avec l’ensemble des personnages à la fin de l’opérette. Dans la même veine, la chanson « Jésus revient », extraite du film La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatiliez, est brièvement citée au milieu de dialogues parlés.



Les Mousquetaires au couvent de Louis Varney
Opérette en trois actes créée en 1880
Direction musicale : Laurent Campellone
Mise en scène : Jérôme Deschamps
Avec Marc Canturri, Sébastien Guèze, Franck Leguérinel, Anne-Catherine Gillet, Anne-Marine Suire, Antoinette Dennefeld, Nicole Monestier, Doris Lamprecht…
Les Cris de Paris
Orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon