Le Deutsche oper de Berlin présente actuellement le Faust de Gounod mis en scène par Philipp Stölzl en 2015 avec un double cast. Nous avons écouté ici Charles Castronovo, Alex Esposito, Nicole Car, Thomas Lehman et Vasilisa Berzhanskaya.
Après y avoir mis en scène Rienzi et Parsifal, Philipp Stölzl, réalisateur des films “Duel au sommet”, “Goethe!” et “L’Oracle”, revient à la Deutsche Oper de Berlin avec un Faust centré sur le personnage de Marguerite et sa tragique histoire.
Habillée d’un terne uniforme, Marguerite est en prison, dans le couloir de la mort. En attendant son destin elle se souvient des faits qui l’ont conduite ici.
Devant le large cylindre en béton qui compose la scène, le plateau se met à tourner et Faust fait son entrée, aux commandes d’un fauteuil électrique équipé d’instruments médicaux qui le tiennent en vie. Le vieux scientifique regrette sa jeunesse et se désespère face à la mort, pendant que les spectateurs voient ses désirs se matérialiser, sous forme d’éloquents tableaux vivants, montrant des jeunes écolières insouciantes se chamaillant.



Évoqué par Faust, le diable apparaît aussitôt et, en échange d’une toute petite chose, lui redonne sa jeunesse.
Déguisés en Elvis aux costards rose à paillettes, Méphistophélès et Faust s’adonnent à une vie débauchée, corrompent des jeunes filles et partent à la recherche de Marguerite, dont Faust est épris. Mais le désir charnel d’adulte de ce dernier est totalement inapproprié car Marguerite vient tout juste de sortir de l’enfance et son univers est fait de ballons d’air, de patins à roulettes et de contes de fée.
Un jour, sous les aiguilles d’un sapin enneigé, situé près de la roulotte où elle mène une vie solitaire (ses parents et sa petite sœur étant morts et son frère parti à la guerre), Marguerite trouve des paquets.
Selon le livret, les cadeaux (un collier, des boucles d’oreille et un bracelet) sont censés acheter les faveurs d’une jeune femme naïve, mais ici ils s’adaptent au jeune âge de la protagoniste en soulignant la perversité et le caractère malsain de la situation. Une tiare, des escarpins, un sac, une robe de princesse et une baguette magique sortent des boîtes, mais ce n’est pas carnaval et les cadeaux ne viennent pas d’un parent bienveillant ou d’une fée, mais d’un homme adulte avec un agenda précis.



Le pédophile séduit donc la petite Marguerite-Cendrillon, qui tétanisée par la peur, cède à ses avances et offre aussi son âme en échange d’un enfer sur terre. La compte à rebours qui l’amènera vers la folie et la mort est déclenché, sous les yeux malveillants d’une foule déshumanisée portant des masques de poisson. C’est cette même foule qui d’abord la mettra à l’écart, puis la condamnera à mort pour infanticide.
Mais Marguerite n’est pas plutôt une victime ? De viol tout d’abord, puis d’ostracisme ? A-t-elle vraiment conscience d’avoir tué son bébé ?
Dans cet univers de manipulateurs, seulement une personne est capable d’éprouver de l’empathie et de l’amour désintéressé : Siebel. Doux comme la laine de son costume intégral de lapin, il est le seul à comprendre la jeune fille et à vouloir la protéger. En vain.



Vasilisa Berzhanskaya se met parfaitement dans la peau de ce personnage et réussit, malgré le ridicule de sa tenue, à le rendre touchant et presque héroïque, au contraire de Valentin, cachant sous son uniforme son égoïsme et sa possessivité. Thomas Lehman incarne le frère de la protagoniste avec réalisme, malgré la scène peu convaincante de son homicide, ou ils s’offre passivement à ses agresseurs.
Malgré son sadisme et sa malveillance, on a du mal à trouver détestable le charismatique Méphistophélès d‘Alex Esposito. Sa voix s’envole explosive et jouissive, comme l’ambiance du mariage imaginaire de Marguerite et Faust, un cabaret resplendissant de mauvais goût et de folie sur un gâteaux de lumières de Las Vegas.



Après avoir été Rodolfo à l’opéra de Paris en février dernier, Charles Castronovo est un Faust à la voix large et virile, malgré quelques difficultés dans le registre aigu. Impeccable à tous points de vue est la Marguerite de Nicole Car, qui nous saisit immédiatement par son émission assurée, son timbre large et son intonation précise. Bravo aussi à son doppelgänger muet, interprété de manière convaincante par Samantha Butow.
Si malgré les nombreux remaniements et coupures dans la partition de Gounod, la vision de Stölzl fonctionne sur le plan narratif, c’est aussi grâce à l’engagement des choristes du Deutsche Oper de Berlin. Entre tableaux vivants, entrées et sorties parfaitement millimétrées, le choeur assure le lien entre les différents tableaux et réussit aussi à donner vie à cette scène quasi-vide, où la monotonie et la banalité peuvent vite s’installer. Nous remarquons la scène très réussie de la découverte de l’infanticide de Marguerite et de sa conséquente arrestation et condamnation, avec les personnages apparaissant un par un, au fil de la rotation du plateau.
Dans la fosse, l’orchestre du Deutsche Oper de Berlin, dirigé par Jacques Lacombe, accompagne de manière subtile et entrainante le déroulement de l’intrigue, qui se termine en prison, telle qu’elle avait commencé.
Le plateau arrête de tourner et le cercle se clôt. Marguerite meurt les bras ouverts, en extase, telle une martyre de l’iconographie chrétienne, sereine car au final elle a été absolue.