« Paradis », le mot clé du festival d’été de Lucerne cette année, raisonne au bord du lac des Quatre-Cantons. Reportage.
Après un mois de juillet plutôt frais, le mois d’août s’annonce beaucoup plus estival. Cette parenthèse de quelques jours à Lucerne en cette saison est une cure garantie pour reposer le corps et l’âme. Le paysage alpin où les montagnes côtoient le lac des Quatre-Cantons nous procure une sensation de sérénité et de bien-être. Dans ce cadre d’exception, a lieu tous les ans le festival d’été de Lucerne (Lucerne Summer Festival) où se rencontrent les plus grands artistes et les plus prestigieux orchestres pour offrir aux mélomanes venus du monde entier des moments d’émotion.
Des souvenirs avec de grands musiciens
Cette année, ce prestigieux festival symphonique démarrait le 8 août et se terminera le 10 septembre. « Paradis », le thème de l’édition 2023, rappelle les souvenirs vécus par quelques grands musiciens du passé et d’aujourd’hui.
Richard Wagner séjourne à Tribschen, village tout près de Lucerne, de 1866 à 1872 avec Cosima et compose Meistersinger von Nürnberg, Der Ring des Nibelungen, Siegfried Idyll. D’ailleurs, le compositeur allemand offre la création de Siegfried Idyll à Tribschen à Cosima.
Sergei Rachmaninoff retrouve son dernier instinct créateur dans sa résidence de Hertenstein au bord du lac de Lucerne, y termine les variations Corelli (opus 42), compose la Rhapsodie sur un thème de Paganini (opus 43) et la 3e symphonie (opus 44).
Arturo Toscanini fonde un orchestre composé de musiciens d’élite et donne un concert de gala à Tribschen avec Siegfried Idyll au programme le 25 août 1938, ce qui est un événement de la genèse du Lucerne Festival.
Claudio Abbado, après avoir inauguré le KKL Luzern (Palais de la culture et des congrès) il y a 25 ans avec le Berliner Philharmoniker, fonde le Lucerne Festival Orchestra avec ses amis musiciens à l’instar de Toscanini dans les années 1930. Il laisse avec le LFO de mémorables enregistrements et captations en live, notamment son cycle Mahler qui reste légendaire !
En sortant de la gare du Lucerne, s’impose immédiatement à nos yeux le bâtiment du KKL Luzern. L’édifice de l’architecte français Jean Nouvel est devenu un point de repère significatif depuis son inauguration. Ce haut lieu de la musique est la résidence principale du festival où l’on entend notamment les récitals des grands solistes ou les concerts symphoniques du Berliner Philharmoniker, du Wiener Philharmoniker, du Gewandhausorchester, du Concertgebouw d’Amsterdam, du Boston Symphony Orchestra, du Mahler Chamber Orchestra et du Lucerne Festival Orchestra. Ce dernier fut fondé en 2003 à l’initiative du maestro Claudio Abbado, et de Michael Haefliger, le directeur artistique et exécutif du festival.

Le piano soyeux de Trifonov
Le 18 août, grande salle du KKL Luzern, l’apparition de Daniil Trifonov sur scène était perçue comme un événement de “compensation”. En effet, deux jours plus tôt, le concert du 16 août avec le 4ème concerto et la première symphonie de Rachmaninoff au programme, aurait pu être un bel hommage au compositeur russe pour ses 150 ans. Hélas…! L’artiste étoile de cette année, attendu comme soliste du concert du cycle Rachmaninoff suivant le projet mené depuis 2018 par Riccardo Chailly et le LFO, annonce ne pouvoir assurer sa prestation. Et aussitôt, la nouvelle de Riccardo Chailly souffrant a suivi, ce qui a offert une belle opportunité à Béatrice Rana et Andrés Orozco-Estrada qui les ont remplacés au pied levé. Le programme était toutefois modifié avec la Rhapsodie sur un thème de Paganini et la Symphonie fantastique de Berlioz.
La prestation de Trifonov en tant que chambriste aux côtés des solistes de l’orchestre du festival est d’autant plus exaltante que l’artiste étoile s’est fait désirer par son absence deux jours auparavant. Ses partenaires, au nombre de huit, se répartissent sur la scène en deux parties. Dans le quintette de Schubert, le son des quatre instruments à cordes est jovial, enlevé (Allegro vivace), et narratif, respirant de mille couleurs (Thème et variations). Le piano soyeux de Trifonov enveloppe les cordes de ses partenaires.

L’opus 34 de Brahms pour la deuxième partie est un moment de transe captivant. Trifonov semble être tombé dans l’œuvre longtemps auparavant. Le jeune pianiste russe ouvre le chemin dès le début (Allegro non troppo). Trifonov n’hésite pas à bousculer la partition par une vitesse excessive. Les éminents musiciens du LFO suivent remarquablement les pulsations du pianiste. Les cinq artistes s’immergent en transe totale. Leurs courses au galop sont rythmées de syncopes (Scherzo. Allegro – Trio). Quand les instruments et leurs cinq musiciens n’en font qu’un, la musique invite le public au même degré de transe (Finale).
Johannes Brahms
Piano Quintet in F minor, Op. 34 43 min
Franz Schubert
Quintet in A major for piano, violin, viola, cello, and double
bass, D 667 Trout Quintet
Villa Senar, sur les pas suisses d’un grand compositeur russe
Pour les 150 ans de Rachmaninoff, Lucerne ne manque pas d’événements. En mai dernier un nouveau lieu culturel a été inauguré à Hertenstein, tout près de Lucerne. La Villa Senar (Senar signifie SErgei & NAtalia Rachmaninoff) était une résidence d’été de Sergei et Natalia Rachmaninoff dans les années 1930. Le lieu au bord du lac des Quatre-Cantons rappelle au compositeur sa chère campagne Ivanovka où se trouvait sa maison de famille en Russie et décide d’y bâtir une maison de style Bauhaus. Ce petit paradis ne va cesser de constituer une source d’inspiration.

Aujourd’hui la Villa Senar est ouverte au public. La Fondation Rachmaninoff gère sa programmation : des concerts, des enregistrements et des masterclasses s’y produisent régulièrement. Pour les mélomanes curieux de la vie de Rachmaninoff, des visites guidées sont organisées. En parallèle, « Rachmaninoff in Luzern », l’exposition organisée par la fondation à l’occasion des 150 ans du compositeur, accueille le public du 10 août au 14 janvier 2024. Les photos et les visuels témoignent de la vie paisible du compositeur lors de ses pauses estivales, des moments inspirants pour écrire de nouvelles œuvres, de son succès en tant que pianiste virtuose et de ses riches périodes d’amitiés – ses amis étant des invités privilégiés de la Villa Senar.
