Marie-Madeleine Duruflé aux côtés de son mari Maurice Duruflé
Marie-Madeleine Duruflé aux côtés de son mari Maurice Duruflé © Fonds Chevalier-Duruflé

Marie-Madeleine Duruflé : de Cavaillon à New York, un parcours virtuose

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Marie-Madeleine Duruflé (1921 – 1999) est née un 8 mai. Elle fut l’épouse du célèbre organiste et compositeur Maurice Duruflé avec qui elle donna des “joint recitals” lors de mythiques tournées américaines. Son parcours virtuose outre-atlantique malgré les épreuves de santé qu’elle a dû surmonter est retracé dans le bulletin n°17 de l’Association Maurice & Marie-Madeleine Duruflé.

 

Marie-Madeleine n’a pas vécu dans l’ombre de son illustre mari, bien au contraire ! Outre des talents exceptionnels d’organiste, l’artiste excellait aussi au piano, sans oublier ses improvisations ou ses compositions, notamment ses Six Fables de La Fontaine pour chœur à trois voix de femmes. Née à Marseille dans une famille de musiciens amateurs, elle vécut à Cavaillon avant de partir une première fois pour la capitale. Ce séjour, qui lui a tout de même permis d’étudier la musique, est de courte durée (un an) car elle doit rejoindre sa Provence en raison de la crise économique…

 A 11 ans seulement, elle s’assoit sur le banc de l’orgue de Cavaillon, travaillant seule l’instrument. “Mes parents se succédaient infatigablement aux leviers des soufflets” relate-t-elle dans la revue L’Orgue n°90. C’est à Avignon, en 1939, qu’elle fait une rencontre déterminante avec Marcel Dupré qui souhaite la prendre sous son aile à Paris. Il est alors titulaire du grand orgue de Saint-Sulpice et professeur d’orgue au Conservatoire de Paris. Malheureusement, la guerre est déclarée, et Marie-Madeleine doit rester chez elle… “Mes parents craignaient que je sois seule à Paris” précise-t-elle. En attendant des jours meilleurs, elle enseigne le piano et se produit lors de concerts. 

Marie-Madeleine Duruflé à la console de l'orgue de Marcel Dupré à Meudon
Marie-Madeleine Duruflé à la console de l’orgue de Marcel Dupré à Meudon © Fonds Chevalier-Duruflé

1945 sera une année déterminante. Marie-Madeleine pose enfin ses valises, seule, à Paris et travaille avec Jeanne Demessieux, puis étudie dans la classe de Marcel Dupré dont Maurice Duruflé est le suppléant. Ses camarades de classe sont Pierre Cochereau, Marie-Claire Alain ou Suzanne Chaisemartin, un casting d’exception ! C’est un premier prix en 1949. Elle effectuera ensuite des remplacements de son professeur à la prestigieuse tribune de Saint-Sulpice. 

Sa victoire au Concours Charles-Marie Widor à Lyon a lieu la même année que son mariage avec Maurice Duruflé, en 1953. Trois ans plus tard, elle s’assoit à ses côtés au grand orgue de Saint-Etienne-du-Mont.

Il faut dire que Marie-Madeleine Duruflé fut une personnalité singulière dans le monde très masculin de l’orgue. Ses prestations en chaussures à talons pour jouer le pédalier étonnent ses contemporains.

Franche dans ses propos, elle fustige l’orgue électronique, “contrefaçon ridicule de notre instrument, par lequel de nombreux ecclésiastiques se laissent attraper. C’est un véritable supplice que de jouer ou d’accompagner sur un pareil ersatz”, confie-t-elle à Pierre Denis. Tout à fait traditionnelle concernant la liturgie, Marie-Madeleine se montre hostile aux messes chantées ou récitées en français. 

Concernant ses goûts, on apprend qu’elle faisait preuve d’éclectisme en ce qui concerne la musique pour piano ou orchestre, en revanche, elle demeurait hermétique à “la musique atonale et sérielle”. 

Au fil des pages on sent également l’admiration réciproque entre Marie-Madeleine et Maurice Duruflé. On notera l’article de Marie-Madeleine paru dans le Journal paroissial de Saint-Etienne-du-Mont au sujet du grand orgue… et de son mari. Elle y évoque Maurice Duruflé avec passion : “avec lui, les offices atteignirent au sublime”. (Ce dernier fut d’ailleurs privé de son grand orgue de 1938 à 1956 en raison des travaux opérés sur l’instrument.) Elle y rédige surtout une ode à l’instrument et à ses possibilités liturgiques. 

 

L’accident

A travers l’interview menée par Frédéric Denis l’année de son décès, c’est la vie hors-du-commun du couple Duruflé qui s’offre à nous. En effet, un événement tragique a ébranlé la vie de ce duo de musiciens : le terrible accident de voiture de 1975. Pour Marie-Madeleine, “14 fractures, dont des fractures des côtes et du bassin”. Concernant Maurice, les dégâts sont aussi considérables, “les deux jambes […] ont été brisées lorsqu’il a été projeté de la voiture sur l’autoroute”, peut-on lire dans le Burlington Times News. Loin de se laisser submerger par les difficultés, Marie-Madeleine prend soin de son mari tout en officiant à Saint-Etienne-du-Mont jusqu’en 1986. Il faudra attendre quelques années avant de pouvoir écouter à nouveau l’organiste lors de grands concerts… 

Portrait de Marie-Madeleine Duruflé
Portrait de Marie-Madeleine Duruflé © Fonds Chevalier-Duruflé

Les tournées en Amérique

Le premier concert aux Etats-Unis a lieu en 1964. Arrivé en Amérique, le compositeur est affaibli par des problèmes de dos et laisse son épouse jouer toute seule leur premier concert, devant 5 000 personnes, en chaussures à talons ! Là-bas, elle interprète systématiquement une partie consacrée aux oeuvres de son mari, très plébiscitées outre-atlantique. Les transcriptions d’Improvisations de Vierne et Tournemire séduisent le public. 

Ne connaissant pas à l’avance le programme qu’elle devait donner, c’est Maurice Duruflé qui lui annonçait au dernier moment : “tu vas jouer ça, ça et ça”. On comptera cinq concerts du couple de 1964 à 1971.

Puis, 1974 marquera le début des tournées américaines en solo car Maurice renoncera à ces concerts pour des raisons de santé. 

Preuve de leur notoriété, le prestigieux New York Times s’intéresse au couple Duruflé à travers une interview de Marie-Madeleine réalisée en 1989. Interrogée sur son éventuelle supériorité technique face à Maurice, elle répond :  “Mon mari était un très grand virtuose à l’orgue, mais une fois qu’il est devenu mon mari, j’ai travaillé plus que lui. Il me disait souvent : Tu joues les pièces les plus difficiles et moi, les interprétations”. 

Les chroniques de ses derniers concerts américains relatent le meilleur mais aussi certaines faiblesses. Sa conception du baroque paraît en décalage avec l’époque. “Indifférente à l’évolution de l’approche d’interprétation de la musique baroque, elle ouvrit le récital avec un concerto pour orgue de Haendel, dans la version démodée des transcriptions de Dupré” note une chronique de concert. “L’usage de la boîte expressive, le phrasé legato, les alternances de claviers et les transpositions à l’octave imposés par Dupré font fi des recherches historiques concernant l’interprétation” peut-on lire dans The Plain Dealer. Et pour ceux qui l’avaient écoutée vingt ans plus tôt, sa virtuosité s’était un peu émoussée, mais le génie restait intact. Ses concerts se clôturaient souvent par deux improvisations éblouissantes. 

 

Un ouvrage passionnant

A travers des interviews, écrits, hommages, programmes de concerts, affiches.. mais aussi des concerts inédits gravés sur 2 cd (un trésor !), ce bulletin de 200 pages est indispensable pour ceux qui souhaitent appréhender le talent de cette personnalité hors-du-commun. Au centre de ce recueil captivant, une galerie de photos en couleurs et noir et blanc retrace les étapes chronologiques de son parcours américain. 

Bulletin n°17 Association Maurice et Marie-Madeleine Duruflé
Bulletin n°17 Association Maurice et Marie-Madeleine Duruflé

Pour conclure, citons les propos d’une organiste, Ann Moe :  “Quand elle ne jouera plus, ce sera la fin d’une époque d’un style particulier du jeu de l’orgue – le style français impressionniste et romantique. Elle est à l’orgue ce que Debussy est au piano. Elle n’a pas d’égal, à mon avis”. 

Malgré une succession d’épreuves de santé, elle jouera jusqu’en février 1998 aux messes de 11h à Saint-Etienne-du-Mont. 

 

 

Il est possible de se procurer l’ouvrage sur www.durufle.fr 

 

Sa passion pour la musique classique provient de sa rencontre avec l'orgue, un instrument qu'il a étudié en conservatoire et lors de masterclass. Attiré très tôt par le journalisme, il écrit ses premiers textes pour le quotidien régional Sud-Ouest Dordogne. En 2016, il rejoint l’équipe de Classicagenda en tant que rédacteur, et publie des articles d'actualité, des interviews et des chroniques de concerts ou albums. Il sera également invité au micro de la RTS pour parler du renouveau de la critique à l'ère digitale. Parallèlement, il mène une activité dans le domaine de la communication numérique.

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