A l’occasion du festival Musique de chambre à Giverny, nous avons rencontré le violoncelliste Michel Strauss, son directeur artistique. Il nous parle du festival, de son intérêt pour la transmission aux jeunes artistes et de son amitié avec Henri Dutilleux.
Comment avez-vous eu l’idée du thème de cette édition de musique de chambre à Giverny ?
L’idée de base a été le souhait d’inviter au festival Pēteris Vasks, un très grand compositeur originaire de Lettonie.
Du coup, comme chaque édition du festival est liée à un thème géographique, après la Russie, le Royaume-Uni, Prague, etc., j’ai décidé cette année de mettre en avant l’Europe du Nord et sa grande tradition musicale.
Bien évidemment, comme on se trouve à Giverny, le berceau de l’impressionnisme, on revient également à la musique française de 1870 à 1930, qui se développe en parallèle à cet incroyable mouvement pictural.
Les peintres impressionnistes mettent pour la première fois sur la toile ce qui est invisible, comme l’air ou la brume… tout comme en musique on commence à privilégier la couleur et l’harmonie à la forme.
L’autre compositeur invité de cette année est Thierry Pélicant, auquel vous avez commissionné une création…
Thierry Pélicant est un très grand artiste. Nous nous connaissons depuis longtemps et il est très lié au festival de Giverny.
Borée, pour hautbois et quatuor à cordes, dont le titre est inspiré à une figure mythologique qui personnifie le vent du nord, sera créée ici au festival.
Le hasard a voulu que je la programme avec la Sonate pour flûte et piano de Poulenc, dont le début est sur la même texture harmonique de l’œuvre de Thierry. Il en était ravi !
Quelques mots sur les jeunes artistes invités cette année au festival ?
Cette année j’ai invité une vingtaine de jeunes musiciens au festival.
Ce sont des musiciens que je connais déjà, qui ont étudié avec moi, que j’ai écouté en concert ou avec qui j’ai joué dans des festivals. La plupart d’entre sont encore en train de terminer leurs études au conservatoire, mais ils ont tous un grand potentiel.
Quand je créé les programmes, je pense surtout à eux, afin de leur faire travailler un répertoire vaste et varié.
Ils sont tous très contents d’être ici, car on travaille beaucoup mais dans une ambiance très conviviale, de partage et d’échange.
En 2014 le festival avait accueilli une petite équipe de luthiers, qui avait créé un violoncelle en seulement dix jours. Cette année vous avez invité des archetiers…
L’atelier de lutherie c’était une idée de Franck Ravatin, qui m’avait proposé de mettre en place un atelier de luthiers pour créer un violoncelle et le revendre pour financer (et sauver !) le festival.
C’est encore lui qui m’a conseillé d’inviter Robert Pierce, Blaise Emmelin et Daoudi Hassoun, des achetiers qu’il connait bien, pour qu’ils construisent trois archets, pour violon, alto et violoncelle, pendant les dix jours du festival.
Le public et les archetiers aiment beaucoup cette initiative et son ambiance chaleureuse.
Pour le public, c’est l’occasion de regarder les archetier au travail, de poser des questions et de découvrir comment on construit un archet. Pour les archetiers, c’est l’opportunité de discuter avec les visiteurs et de travailler avec des collègues, en s’échangeant des informations, en apprenant, peut être, des nouvelles choses … ça change de leur quotidien où ils sont tous seuls dans leur atelier !

Le festival accueillit également des conférences scientifiques…
Vous savez la musique et les mathématiques étaient la même discipline au Moyen Âge !
En général, les mathématiciens sont tous férus de musique et la pratiquent plus que d’autres scientifiques.
Les conférences scientifiques sont tenues par deux astrophysiciens : Carlo de Franchis et Fabrice Mottez. Une conférence a comme thème les Aurores Boréales et l’autre le Cosmos, en référence au concert “La nuit étoilée, hommage à Henri Dutilleux“, mais aussi au magnifique tableau de Van Gogh.
Tout cela est très passionnant. Un jour, j’aimerais bien fonder une résidence pérenne de musiciens, de compositeurs et de scientifiques…
A propos de Dutilleux, dont cette année on célèbre le centenaire de la naissance. Quels sont vous plus beaux souvenirs de lui et de sa résidence à Giverny il y a 11 ans ?
J’ai des magnifiques souvenirs de lui au festival.
Non seulement il était un artiste extraordinaire, mais également une personne généreuse, respectueuse et pleine d’énergie.
J’ai une anecdote à vous raconter : c’était en 1983 et on était en train de tourner une scène du film “Prénom Carmen” chez moi. Il y avait des caméras partout et j’attendais la visite de Dutilleux. A son arrivée, en voyant toutes les caméras, il se tourne vers moi et me dit “C’est quoi ça ? Est-ce que je dérange ?”, et moi : “Non c’est pour vous !”.