Voici déjà soixante-cinq ans que se tient chaque été le Festival Pablo Casals, dans la belle ville de Prades, un rendez-vous convivial qui met à l’honneur la musique de chambre. Si l’événement a su fidéliser un public au fil des ans, savez-vous qui était son fondateur au destin exceptionnel et comment est née cette tradition musicale et estivale ? Non ? Ce n’est pas grave puisque l’on vous dit tout !
Pablo Casals voit le jour le 29 décembre 1876. Ses parents, qui se sont rencontrés sous le signe de la musique, baignent l’aîné de leurs onze enfants (dont seuls trois garçons survivront) dans les notes et les mélodies que le bambin comprend avec bien plus de facilité que les mots. Le jeune prodige, à l’instar de Mozart, sait déjà jouer du piano avant même de souffler sa quatrième bougie. Très vite, il fait ses premiers pas dans la composition mais il faudra attendre qu’il ait onze ans pour qu’il soit frappé du sceau de la révélation instrumentale. A cette époque, un trio, composé d’un pianiste, d’un violoniste et d’un violoncelliste, donne un concert au Centre catholique d’El Vendrell. Le jeune Pablo tombe immédiatement sous le charme du violoncelle dont il entend le son pour la première fois. Il déclarera alors à son père Carlos que c’est de cet instrument dont il veut jouer. L’année suivante, il part avec sa mère, Pilar, pour suivre des cours à Barcelone. Il est diplômé à seize ans et se passionne pour les Suites pour violoncelle seul de Bach, partitions qu’il exhume et que plus personne ne jouent. Il les remettra au goût du jour après les avoir étudiées durant douze années. Entré à la cour royale de Madrid, il trouve rapidement un protecteur en la personne du Comte de Morphy grâce à qui il rayonnera dans toute l’Europe.
Tandis que la gloire le couronne à seulement vingt-trois ans, il pose son intérêt sur la musique de chambre en fondant un trio vite acclamé avec le pianiste suisse Alfred Cortot et le violoniste français Jacques Thibaud. En parallèle, il connaît une carrière internationale et affirme ses choix politiques : lorsque la première guerre mondiale éclate, il est contraint à l’exil. Il fonde l’Orquestra Pau Casals dans une Espagne plus qu’instable. De plus, durant la Révolution d’Octobre 1917, il jure de ne jamais remettre les pieds en Russie tant que la démocratie n’y sera pas rétablie. Faisant face aux menaces fascistes et communistes, il prend son archet et sa baguette de chef d’orchestre pour partir en guerre contre toutes les formes de dictature. Il refuse de se produire en Allemagne nazie ou dans l’Italie mussolinienne mais déjà, la République espagnole s’effondre et il choisit de s’installer à Prades, sous-préfecture des Pyrénées-Orientales, pour retrouver l’âme de sa Catalogne natale.



Dans un premier temps, Pablo Casals milite pour venir en aide aux réfugiés. Il leur apporte un soutien matériel et visite des camps de concentration. Au plus près de ses compatriotes exilés, il prend en charge l’œuvre humanitaire et multiplie les concerts de bienfaisance. Lorsqu’en 1943, trois officiers allemands lui proposent de venir jouer devant le Führer, il refuse, fidèle à ses principes qui consistent à ne pas mettre un pied dans un pays où sévit la dictature. Il entre en résistance contre Franco dont il fait son principal opposant. On le supplie de venir jouer aux Etats-Unis mais, à plus de soixante-dix ans, il préfère s’effacer de la scène publique et ne donne plus de concerts pour marquer sa désapprobation face au laxisme international envers le régime politique franquiste. Prétextant le bicentenaire de la mort de Bach, le violoniste américain Alexander Schneider tente de le convaincre de reprendre sa carrière et propose une alternative au mutisme de Casals afin que ce dernier ne condamne pas son art au silence : puisqu’il ne veut pas quitter Prades, il obtient du violoncelliste qu’un groupe de musiciens, parmi les plus grands interprètes, fasse le déplacement pour des concerts en sa compagnie. C’est ainsi que va naître le Festival de musique de Prades.
Douze concerts sur une période de trois semaines s’organisent ainsi dans l’effervescence d’un retour tant attendu. Festival Bach oblige, l’église Saint-Pierre de Prades est transformée en salle de concert, sous réserve de conserver la solennité du lieu. Le 2 juin 1950, une foule sans précédent se presse dans la petite ville française pour « l’événement musical du siècle ». La clôture de la première édition se fait à l’abbaye Saint-Michel de Cuxa, encore utilisée de nos jours pour ce rendez-vous devenu annuel alors même qu’il n’était envisagé comme unique. L’année suivante, pour des raisons de logistique, le Festival se tient à Perpignan mais revient en 1952 dans l’antre de Casals, au cœur de la Catalogne française qu’il affectionne tant, aux portes de sa terre natale. Progressivement, le Festival Bach devient le Festival Pablo Casals. Pour cause de raisons de santé, l’édition de 1967 ne verra pas le jour mais renaît depuis, chaque été, habité par l’esprit du musicien qui a émis le souhait que, quand il ne sera plus là, Prades continue, que cette œuvre qu’il a commencée survive. Depuis 1983, Michel Lethiec, clarinettiste, perpétue la tradition et assure la continuité de l’âme du Festival en qualité de directeur artistique. De nouveaux lieux sont venus enrichir les éditions dont la programmation s’appuie désormais sur une thématique afin de guider le public, de plus en plus nombreux, dans les filets de la musique de chambre. « La musique élève comme une prière. Elle unit les hommes. Il ne faut pas que cette œuvre finisse » disait Casals. Sa volonté est respectée à Prades !