Il aura fallu attendre 40 ans pour assister à un récital de Peter Rösel à Paris ! Mercredi 7 novembre, Les Concerts de Monsieur Croche orchestrés par Yves Riesel (que nous avons interrogé au sujet de la saison) ont donc remédié à cette absence. Le public a assisté à une lecture naturelle et sensible de trois “Testaments musicaux”.
Il n’est pas inutile de rappeler brièvement qui est Peter Rösel, tant cet artiste demeure trop peu connu en France. Enfant précoce, à 10 ans, il savait déjà qu’il serait pianiste. Après son 2ème Prix au Concours Robert Schumann de Zwickau, c’est à Moscou que le musicien étudie auprès de Dmitri Bashkirov puis Lev Oborin. Un 6ème prix au Concours Tchaïkovski – dont il fut le premier lauréat allemand – vient saluer ses efforts et marque le début d’une carrière internationale.
Dans ces conditions, pourquoi s’est-il montré si rare à Paris ? Le site des Concerts de Monsieur Croche nous apprend que son long cantonnement en Allemagne de l’Est (de la période de la guerre froide à la chute du mur de Berlin) s’explique notamment par la présence de l’agence artistique d’état, la « KGD » (Konzert-und Gastspieldirektion), qui faisait barrage. Ensuite, Rösel restera malgré tout très peu invité en France… l’Amérique du Nord et le Japon seront essentiellement ses terres d’accueil. Et concernant la capitale française, les deux dernières apparitions du pianiste étaient dédiées à des concertos mais à aucun récital en solo…
Pourtant Peter Rösel est l’un de ces pianistes qui, une fois installé au clavier, retient votre attention dès les premières notes jusqu’à la conclusion du récital. L’impression qui nous vient d’emblée est celle d’une interprétation naturelle. Une éloquence dotée d’une aura singulière à laquelle nous sommes suspendus.



Au programme ce soir, rien de moins que les “Testaments musicaux” que sont les ultimes sonates de Joseph Haydn, Ludwig Van Beethoven et Franz Schubert.
Véritable artisan du piano, Rösel a tellement assimilé ces oeuvres en profondeur qu’il en résulte un discours sincère, parfaitement maîtrisé et d’une fraîcheur inouïe.
La Sonate pour piano n°62 de Joseph Haydn, déjà beethovénienne dans l’âme, est exécutée sobrement, sans aucun maniérisme. Le pianiste laissant respirer chaque phrase afin de nous en faire saisir toute l’intelligibilité et le relief insoupçonné. Puis vient la Sonate pour piano n°32 de Beethoven, son opus 111, entre impétuosité et moments de grâce. Après une introduction Maestoso, surgit un premier thème fortissimo des profondeurs du clavier, puis se déploie un Allegro con brio ed appassionato aux nuances infinies. Le second mouvement prouve une capacité à ôter toute pesanteur au texte, à transmettre l’essence de la musique dont les variations sont autant de prétextes à une interprétation renouvelée.
La magistrale Sonate pour piano n°21 de Franz Schubert, achevée deux mois avant sa mort, referme le programme. Au premier mouvement Molto moderato coloré succède un Andante sostenuto émouvant mais sans épanchement excessif. Sous les doigts de Rösel, le Scherzo, d’une légèreté virevoltante, donne quant à lui un nouveau visage à la partition avant un finale virtuose qui s’achève sur une coda éclatante.
Comme tout au long de ce récital, le jeu est clair, sûr, admirablement conduit, et sans aucun superflu. Il s’agit là d’une leçon de simplicité et de modestie – Peter Rösel ne se mettant à aucun moment en avant – et à l’issue de la soirée une seule envie nous vient à l’esprit : nous plonger dans sa discographie exemplaire (on pense notamment aux enregistrements aux côtés de Kurt Sanderling et de l’orchestre symphonique de Berlin chez Berlin Classics) afin d’explorer l’oeuvre d’un pianiste unique.