Depuis 2013, le festival Musique et Vin au Clos Vougeot a mis en place un fonds instrumental destiné aux musiciens en fin d’études ou en début de carrière. En attendant le festival, qui aura lieu du 16 au 25 juin prochain, nous avons assisté au dernier jury, pour en découvrir le fonctionnement et rencontrer les candidats.
Dans la charmante cour du Couvent des Cordeliers de Beaune, des jeunes musiciens attendent, portant sur leurs épaules des violons, des altos ou de plus encombrants violoncelles. Le regard concentré, ils s’apprêtent à monter sur scène et donner le meilleur d’eux-mêmes dans une audition qui pourrait changer le cours de leur vie.
Ces jeunes sont venus ici car ils sont à un tournant de leur carrière de musiciens : malgré l’attachement qu’ils peuvent leur porter, leurs instruments ne leurs conviennent plus. Ils ont atteint des limites qui les empêchent de progresser.
Une violoniste de 22 ans, Marie De Roux, nous parle de la nécessité de passer au niveau supérieur : “J’aime le son chaleureux de mon violon, avec ses qualités d’alto, mais je m’aperçois qu’il sature trop vite et il lui manque un côté plus brillant, plus pétillant”, tandis que sa collègue Hortense Airault, violoncelliste de 17 ans, est ici pour trouver un instrument qui puisse réagir vite à ce qu’elle a envie de dire, avec lequel “mettre en place un vrai travail d’équipe”.
Effectivement, un instrument de musique n’est pas juste un objet dont on se sert pour faire de la musique, au niveau professionnel il devient un véritable compagnon, un alter-ego qu’il faut découvrir, écouter, respecter et enfin apprivoiser.
En réagissant au toucher du musicien, l’instrument l’interpelle, lui donne des indications et le guide vers son potentiel, “afin de pouvoir s’exprimer librement, sans limites, et qu’il puisse nous suivre la où on veut aller”, nous dit encore Marie De Roux.
Un autre jeune violoniste, Florian Blot, nous explique qu’il y a deux sortes d’instruments : ceux qui, limités par leur qualité, vous forcent à travailler la technique pour en tirer le mieux, et les grands instruments, qui permettent d’un côté de s’économiser — “Ils avancent tout seuls !”, nous dit-il — et de l’autre de se concentrer sur d’autres aspects et développer ainsi ses aptitudes.
Ce n’est pas un hasard si les plus grands musiciens ont possédé ou possèdent des instruments hors de l’ordinaire, car au contact avec eux la technique se développe, le talent s’épanouit, et l’oreille se syntonise sur des sonorités qui marquent à jamais l’artiste comme son public.



Créé à partir d’une idée de Bernard Hervet, soutenue par Aubert de Villaine, le fonds du Clos Vougeot comporte 20 instruments, parmi les meilleures oeuvres que la lutherie moderne puisse produire en copiant les grands luthiers italiens du XVIIIème siècle, comme Stradivari et Guarneri.
Depuis la création du fonds, les musiciens sélectionnés ont eu la chance de se voir prêter des violons, des altos et des violoncelles fabriqués par des luthiers très prisés tels que Franck Ravatin, Günter Siefert, Petr Sledaček, Antoine Gonon, Apostol Kaloferov et Bernard Sabatier, auxquels s’ajoutent cette année deux instruments fabriqués par Stefan-Peter Greiner et Patrick Robin.
Chacun de ces instruments, d’une valeur allant de 15 000 à 50 000 euros, porte à l’intérieur une étiquette millésimée “Musique et vin au Clos Vougeot”, avec le nom d’un grand cru et du mécène qui l’a financé, en toute cohérence avec le thème du festival.
On retrouve de nombreux points communs entre la musique et le vin, comme nous le confirme encore Florian Blot : “dans le vin comme dans les instruments de musique, plus on monte en gamme, plus il faut être aiguillé et dirigé afin de les apprécier à leur juste valeur. La particularité de l’art est que, tout comme l’artisanat viticole, c’est un apprentissage permanent, où la vie apprend à l’art et l’art apprend à la vie…”
Chaque année des instruments sont prêtés pour une durée allant d’un à trois ans, en fonction des besoins des artistes et de l’avis du jury qui, soucieux de l’avenir de ces jeunes, veille à choisir l’instrument le plus adapté à chacun d’entre eux.
Au delà des critères d’attribution les plus évidents, comme la taille et le poids des instruments, le jury — composé par les fondateurs du festival et par des professionnels — évalue le niveau des candidats, leurs besoins et bien évidemment, leur potentiel. “On estime les capacités du candidat et de quelle façon il pourra évoluer avec l’instrument” nous explique Jean-Luc Votano, clarinette solo de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège et membre du jury.
Si la plupart des jeunes musiciens sont ici pour se faire attribuer un nouvel instrument, d’autres, comme Sarah Jegou, repassent l’audition pour pouvoir les garder : “Mon violon m’a été attribué par le jury il y a un an” nous raconte la jeune violoniste, “il s’agit de la copie d’un Joseph Hel, que j’aimerais pouvoir conserver car son timbre me plaît beaucoup, tout comme sa sonorité, ronde et chaleureuse”.
Les auditions, organisées et présidées par Daniel Weissmann, directeur général de l’Orchestre Philarmonique Royal de Liège, commencent. Un par un, les jeunes musiciens rentrent dans le grand salon où les membres du jury, composé par des musiciens et par les fondateurs du festival les attendent, tout comme les mecènes qui prennent place parmi le public.



Le niveau des participants est très élevé, cependant il faut choisir les meilleurs d’entre eux, de manière objective, comme nous explique encore Jean-Luc Votano, en nous montrant les notes prises pendant les auditions.
“Bien que bienveillant, le jury a des critères très précis en tête, comme l’aspect technique et musical”, nous dit le clarinettiste, “où l’on évalue la maîtrise de l’instrument, la musicalité et la connaissance approfondie du morceau, mais aussi la mise en place avec le piano, et la façon dont le musicien écoute ce qui se passe autour de lui”.
Ensuite les spécialistes examinent tout ce qui est propre à l’instrument : du positionnement des bras à l’utilisation de l’archet, pour enfin arriver à l’écoute globale, qui est en revanche bien plus subjective. “C’est aussi sur la qualité du son que tout se joue”, continue Votano, “on a un son dans la tête et on cherche ça, c’est très personnel et subjectif, mais c’est exactement ce qui fait une personnalité ou pas. Certaines personnes sentent la musique d’une façon qui ne plaît pas à l’écoute, d’autres ont le don de plaire au plus grand nombre de gens”.
La jeune violoniste Sarah Jegou a fait l’unanimité dans cette journée, en remportant le premier prix sous le regard satisfait du jury, du public et des journalistes présents.
La première fois qu’elle avait participé au concours, elle était celle qui avait le plus besoin d’un instrument, par rapport à ses capacités et à son potentiel. Grâce à sa ténacité et à son engagement, elle a confirmé aujourd’hui le choix du jury, et pourra donc garder son instrument. Mais pour elle, tout comme pour les autres participants, ce n’est qu’un début : des concours internationaux l’attendent, tout comme les examens pour se spécialiser, car un musicien ne finit jamais d’apprendre. “Après le jury, nous restons à disposition toute la journée”, nous dit Votano, “afin de donner aux jeunes nos points de vue et les aider à s’améliorer”.
Pendant que des musiciens repartent le coeur léger sachant qu’ils pourront garder leurs instruments, d’autres découvrent leurs nouveaux “compagnons de voyage” sous le regard des membres du jury et des luthiers présents, comme Patrick Robin, prêt à confier sa création et soucieux de savoir comment elle évoluera sous les doigts du jeune talent.
La journée se clôt, les gagnants quittent les lieux, comblés et heureux, certains se retournent pour fixer dans leur mémoire le cadre fascinant où cette journée exceptionnelle s’est déroulée, pendant que les ardoises colorées des toits de Beaune, brillent une dernière fois et se grisent.