Au XIIe siècle, la ville romaine de Saintes a vu la construction du premier monastère féminin de la région : l’Abbaye aux Dames. Issues des plus grandes familles, les moniales en avaient fait un centre intellectuel, économique et social, dont le rayonnement s’est perpétué jusqu’à nos jours.
En 1988, après d’importants travaux de restauration, les bâtiments conventuels sont convertis en centre culturel : ainsi naît la Cité musicale, qui comprend aujourd’hui une saison musicale, un festival d’été, un orchestre, un programme d’éducation musicale et des résidences d’artistes.
Chaque année, près de cinq cents musiciens du monde entier viennent ici pour le festival qui investit, outre l’abbatiale, les salles de l’abbaye et son auditorium, plusieurs lieux culturels de la Saintonge : le théâtre Gallia, ainsi que des châteaux, églises et abbayes alentour.
Des “visites théâtralisées” font découvrir au public l’abbaye et son histoire presque millénaire, des conférences animés par des musicologues l’initient au répertoire abordé au cours du festival, tandis que les musiciens du Jeune Orchestre de l’Abbaye assurent des ateliers pédagogiques. Au cœur d’un projet en collaboration avec l’université de Poitiers, le JOA permet en effet aux futurs musiciens professionnels d’appréhender l’expérience de l’orchestre et de jouer sous la direction de grands chefs.

Deux grands concerts ont encadré cette édition : le Concert Royal de la Nuit, restitution du mariage de Louis XIV par Sébastien Daucé et son ensemble Correspondances, et l’Orchestre des Champs-Elysées sous la direction de Philippe Herreweghe, dans un programme alliant des extraits de Parsifal à Mort et transfiguration. A cette occasion, des membres du Jeune Orchestre de l’Abbaye ont intégré pour la première fois l’OCE qui, comme toujours, s’investit dans la transmission et l’aide à la professionnalisation.
Pendant huit jours à Saintes, nous avons ainsi pu retrouver des artistes tels que Victor Julien-Laferrière, Adam Laloum, Raphaël Sévère, le quatuor Cambini, Vox Luminis avec Lionel Meunier, l’ensemble Aedes et la Main Harmonique. On retiendra quelques découvertes, comme l’ouverture et cantate Caïn maudit de George Onslow, les influences étonnantes entre Venise et l’Allemagne au XVIIe siècle, le plaisir de réentendre Jean Rondeau au clavecin, la révélation de l’année, et les sonorités dépaysantes du trio Chemirani. On salue également le travail de spatialisation de l’ensemble Faenza, qui a choisi de jouer au milieu de l’abbatiale, entourant ainsi le public de musique.
Sous la baguette de Natacha Bartosek, Aposiopée a osé un programme entièrement en tchèque explorant la grande diversité du répertoire de Dvořák à Kabeláč, en passant par Janáček et Martinů. Les qualités vocales, l’energie et la force communicative de cet ensemble, mélangeant timbres d’enfants, des jeunes filles et jeunes garçons, ne peuvent que promettre un bel avenir.
Le remarquable chœur Pygmalion confronte l’intimité et la suspension du romantisme tardif allemand (dans Ständchen, ou dans l’opus 17 de Brahms), à la puissante violence du Crépuscule des Dieux, qui résonne dans l’abside de l’abbatiale. Accompagné par le harpiste d’exception Emmanuel Ceysson, que l’on retrouvera à la rentrée au Metropolitan Opera de New York, Pygmalion et Raphaël Pichon captivent le public.
Une programmation éclectique qui a vu dans la même journée la Messe en si, dans une interprétation subtile du Collegium Vocale Gent, des improvisations au piano sous la “grande voile”, lieu de rencontre et de spontanéité, et une soirée jazz dans le cloître de l’abbaye avec Note Forget…

Mon séjour à Saintes s’est terminé par une rêverie nocturne, dans l’obscurité du cinéma Gallia, où la metteuse en scène Louise Moaty a allumé sa lanterne magique pour nous transporter dans son univers étonnant. Confronté à un piano pour enfants et à un instrument détourné, le pianiste Alexeï Lubimov a fait dialoguer John Cage et Érik Satie avec les projections poétiques de sa comparse. Deux artistes à suivre, assurément.