Il est des concerts qu’on aurait presque envie de ne pas commenter, comme si tenter de les analyser pouvait risquer de briser leur souvenir. En sortant de ce gigantesque et grandiose Requiem de Berlioz à la Philharmonie le 21 février, dirigé par le chef espagnol Pablo Heras-Casado, il nous faudra de longues minutes avant de retrouver la sensation de la terre ferme.
Le concert s’ouvre sur la Musique funèbre de Witold Lutosławski. Cette composition, dédiée à la mémoire de Béla Bartók, est somptueusement réalisée par l’Orchestre de Paris. Construite comme une grande arche, cette Musique funèbre mêle un savant contrepoint à une douloureuse exploration dodécaphonique et se conclut dans la plus grande nudité du superbe violoncelle solo d’Éric Picard.
C’est presque sans interruption que Lutosławski laisse ensuite place à Berlioz et à son Requiem (sous-titré Grande Messe des morts), qui constitue le cœur du programme de ce concert.
On est frappé par la grande variété de climats que Pablo Heras-Casado parvient à créer dans cette œuvre que Vigny qualifiait de « belle et bizarre, sauvage, convulsive et douloureuse ». Les passages les plus recueillis sont dépourvus de toute mièvrerie hors de propos et le chef espagnol y maintient une grande tension [epq-quote align=”align-left”]La spatialisation intelligente contribue à envelopper l’audience d’un grand sentiment d’urgence dramatique.[/epq-quote]dans les dynamiques. Dans les tuttis fracassants du Dies iræ, la vibration sonore, qu’on ressent jusque dans l’assise de son siège, est telle qu’on jurerait que l’Apocalypse est effectivement imminente. Les roulements successifs des nombreuses timbales, alignées au dernier rang de l’orchestre, saisissent d’effroi. De plus, la spatialisation intelligente (les pupitres de cuivres sont répartis à différents endroits de la Philharmonie) contribue à envelopper l’audience d’un grand sentiment d’urgence dramatique.
L’Orchestre de Paris, accompagné par quelques musiciens de l’Orchestre du Conservatoire de Paris, maintient constamment une grande clarté des plans sonores et un juste équilibre pourtant bien délicat à trouver compte tenu de l’impressionnant effectif nécessaire à l’exécution de ce Requiem aux proportions monumentales, et ne sacrifie jamais la musicalité à la profusion des décibels.
Le Quaerens me, entièrement a cappella, installe durablement un climat d’apaisement où brillent les forces chorales conjuguées du Chœur de l’Orchestre de Paris et de l’ensemble Orfeón Donostiarra. Toutefois, le Lacrymosa pourrait certainement atteindre une meilleure homogénéité et offrir davantage de fusion au sein des pupitres du chœur.
Le sommet de la soirée est incontestablement atteint lors du Sanctus qui marque le dialogue entre le chœur des femmes et la voix du ténor solo, habilement placé au premier balcon. La voix de Frédéric Antoun s’élève et se déploie avec une ferveur irrésistible qui semble descendre directement du ciel. Un moment de grâce absolu qui résonne longtemps encore après les dernières notes de l’Agnus Dei.
Cette soirée, riche en contrastes, s’inscrit merveilleusement dans l’hommage qu’on doit légitimement à Hector Berlioz, en cette année 2019 qui marque le 150e anniversaire de la mort du compositeur.
Witold Lutosławski
Musique funèbre pour orchestre à cordes
Hector Berlioz
Requiem op.5, Grande Messe des morts
Frédéric Antoun, ténor
Orfeón Donostiarra
Chœur de l’Orchestre de Paris
Orchestre du Conservatoire de Paris
Orchestre de Paris
Direction : Pablo Heras-Casado
21 février 2019, Philharmonie de Paris