Le rideau se lève sur une scène froide et inquiétante : des corps inanimés gisent à terre pendant que chœur présente le thème de la pièce – dans la tradition du théâtre élisabéthain – et en dévoile le tragique épilogue.
Si le thème de l’amour impossible est courant dans l’opéra, celui “né sous des étoiles contraires” de Roméo et Juliette reste tout de même le plus tragique, à cause du jeune âge des protagonistes; le plus dramatique, car facilement évitable et celui qui reste le plus actuel.
Les Capulet et les Montaigu qui chez Shakespeare étaient “égaux en noblesse“, dans la mise en scène de Paul-Émile Fourny ils se différencient par la culture et, peut être, par le statut social.
Si les costumes soulignent cette différence, l’image qui s’en dégage est inégale : la touche tzigane-pirate des Montaigu n’a pas la subtilité des longs pardessus des Capulet, avec leur doublure rouge évoquant la passion amoureuse et le sang, les deux thèmes de la pièce : “Deux familles […] sont entraînées par d’anciennes rancunes à des rixes nouvelles où le sang des citoyens souille les mains des citoyens“.
Pendant le bal masqué la jeune Juliette, interprétée par Vannina Santoni croise le regard de Roméo, incarné par Florian Laconi, mais l’instant romantique est voilé par la découverte mutuelle que leur “unique amour émane de leur unique haine“.
Au pied d’un bel escalier à hélice qui se déploie vers l’infini, les jeunes protagonistes, dans l’inconscience et l’intensité de leur amour juvénile, décident de ne pas y renoncer, au péril de leur vie.
Les marches de l’escalier servent aussi de décor à l’attachant et convaincant Stephano d’Eduarda Melo, qui défie les gardes et provoque le début de la tragédie : sous des lumières glaciales et coupantes se tient le duel mortel de Mercutio (Pierre Doyen) et Tybalt (Cyrille Dubois), dont les différentes personnalités sont bien caractérisées par ces talentueux chanteurs.
Dans ce moment poignant qui clôt le troisième acte, la voix de Florian Laconi, au timbre chaleureux et épanouie dans l’aigu, arrive au sommet de son expression, soutenue par un chœur poignant.
La vie éternelle qui réunira les amants est symbolisée par cet animal, dont la ramure chute et repousse, ainsi que le sacrifice pour la paix entre les Capulet et les Montaigu : “La rage obstinée de ces familles, que peut seule apaiser la mort de leurs enfants“.
On retrouve cette référence au christianisme, quand le Frère Laurent de Jérôme Varnier, à l’allure élégante et au timbre saisissant, allume un cierge dont la flamme représente un cerf avec un crucifix entre sa ramure, comme celui rencontré par Saint Hubert.
Sous un plafond écrasant, les jeunes amants vont à la rencontre de leur destin en exprimant, à partir du quatrième acte, tout leur potentiel de comédiens et de chanteurs, comme dans la touchante scène du poison, qui permet à Vannina Santoni de ne plus retenir le dramatisme de sa voix et de se transformer en une vibrante Juliette.
Pour finir, on saluera l’excellente prestation des Cris de Paris qui, depuis le pianissimo initial, donnent le ton de cette production avec un son parfaitement homogène et un engagement complet sur scène.
Mise en scène : Paul-Émile Fourny
Décors : Emmanuelle Favre
Costumes : Dominique Burté
Lumières : Jacques Châtelet
Juliette : Vannina Santoni
Roméo : Florian Laconi
Frère Laurent : Jérôme Varnier
Stephano : Eduarda Melo
Tybalt : Cyrille Dubois
Mercutio : Pierre Doyen
Comte Capulet : Christophe Fel
Gregorio : Bernard Imbert
Duc de Vérone : Jean-Marie Delpas
Comte Pâris : Olivier Dejean
Gertrude : Anne Salvan
Benvolio : Alban Dufourt
Orchestre national d’Île-de-France
Chœurs Les Cris de Paris
Direction musicale
Cyril Diederich
Coproduction Tours, Avignon, Metz, Reims et Massy