La fondation Blüthner propose une saison de récitals de piano avec de jeunes musiciens prometteurs venus de toute l’Europe. Après Stéphanos Thomopoulos (Grèce), Irina Loskova (Russie) et Maroussia Gentet (France), c’est au tour du Suédois Martin Sturfält de se produire sur la scène du Gœthe Institut, avenue d’Iéna, à Paris.
Il construit un programme en deux parties sans entracte, la première rassemblant des compositeurs suédois de la période baroque à nos jours, la seconde autour des Kreisleriana de Schumann, complétées de deux pièces de Kreisler, Liebesleid et Liebesfreud, arrangées par Rachmaninov.
Johan Helmich Roman est un compositeur du baroque tardif, considéré comme le père de la musique suédoise. Il travaille entre autres avec Haendel, et séjourne en Italie pour approfondir son art. Parmi ses quelques 400 œuvres, nous trouvons douze suites pour clavecin dont notre pianiste donnera un aperçu en jouant la deuxième. Sa suite en ré majeur n’est plus une suite de danses, comme c’était souvent le cas au XVIIe siècle, mais une alternance de pièces à des tempos rapides et lents, avec des changements fréquents de tonalité. Dans cette suite au début du concert, le jeu du pianiste est encore timide, peu affirmé, mais montre toutefois un beau chant dans le Lento non troppo. Avant de jouer Les Cloches de la nuit d’Anders Nilsson, il prend la parole et explique brièvement la genèse du morceau : le compositeur séjourna au Mont-Saint-Michel en 1984 et y passa une nuit, mais les cloches chaque quart d’heure l’empêchèrent de dormir. Il décida alors de composer sur les trois sons des cloches… Il s’agit d’une pièce assez courte, calme et méditative, que Martin Sturfält fait résonner avec beaucoup de délicatesse. À la fin de la première partie, l’Étude de Concert n° 1 « Fileuse » de Laura Netzel fait le lien avec le romantisme de Schumann ; l’œuvre fait irrésistiblement penser à Mendelssohn et en particulier à l’élégance mélodique de certaines Romances sans paroles. Le pianiste précise que les 80 œuvres de la compositrice, dont notamment des mélodies et des pièces de chambre, sont toutes publiées en France, mais aucune en Suède… Lumineuse et enjouée, cette Étude de concert est traversée par une virtuosité sobre, très éloignée de celle de Liszt ou de Chopin. L’interprétation de Martin Sturfält rend à la perfection ce caractère « de salon » sans jamais tomber dans le sentimentalisme.
La Kreisleriana, clou du programme, apparaît comme la suite logique des pièces précédentes (y compris la Suite de Roman), étant elle-même constituée de plusieurs morceaux. L’exécution est magistrale, très soignée dans les détails, faisant transparaître l’honnêteté et l’humilité de l’artiste face à la partition. Le piano ne sonne pas toujours comme on l’attend, et l’on perd alors la dynamique construite au fil des pièces. Mais on peut sans peine accuser la configuration de la salle, avec ses sièges de mousse et de tissu, et la disposition de la scène, dont le bas plafond laisse un espace restreint à la résonance. Le concert se conclut, presque en guise de bis, avec deux courtes pièces de Kreisler, exécutées admirablement et avec une grande élégance.
Paris, Goethe-Institut, 3 février 2015
Martin Sturfält, piano.
Programme :
Johan Helmich Roman (1694-1758) : Suite n° 2 en ré majeur
Anders Nilsson (né en 1954) : Les Cloches de la nuit
Laura Netzel (1839-1927) : Étude de Concert n° 1 op. 52 « Fileuse »
Robert Schumann (1810-1856) : Kreisleriana op. 16
Fritz Kreisler (1875-1962) / Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Liebesleid, Liebesfreud
Martin Sturfält est né en 1979 et a commencé le piano dès l’âge de quatre ans. Formé au Collège royal de musique de Stockholm et à la Guildhall School of Music & Drama de Londres, il donne régulièrement des concerts depuis l’âge de onze ans. Parmi les prix qu’il a gagnés, citons les premiers prix au UK Yamaha competitions en 2002, Malmö Nordic « Blüthner » Piano Competition à la même année ; Il a été lauréat du John Ogdon Prize en 2004, et du Terence Judd Award en 2005. Il se produit lors de récitals solo et de musique de chambre dans des salles prestigieuses comme Barbican Hall, Royal Festival Hall, Wigmore Hall, le Concertgebouw d’Amsterdam ou encore le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.