Lydia Jardon © Alexandra de Leal
Lydia Jardon © Alexandra de Leal

Sonates pour piano de Nikolaï Miaskovsky par Lydia Jardon : “Journal de bord de l’état d’âme”

4 minutes de lecture

Dans le cadre de son projet d’intégrale des Sonates de Miaskovsky, Lydia Jardon avait d’abord enregistré les numéros 2, 3 et 4 il y a environ 10 ans. Voici le deuxième album avec les sonates 1, 5 et 9 au travers desquelles la pianiste dévoile le portrait intime du compositeur.

 

Si les 27 symphonies de Miaskovsky répondent aux exigences du régime soviétique, ses 9 sonates pour piano, plus introspectives et contemplatives, représentent son exil intérieur (« Journal de bord de l’état d’âme » selon l’expression de Lydia Jardon).

La Sonate n°1, l’œuvre de jeunesse du compositeur, commence par une forte ambiance de fugue qui mène au mouvement suivant. Ce dernier se rapproche du mysticisme de Scriabine et du post-romantisme de Rachmaninov. Lydia Jardon fait surgir couleurs et lumières pour en faire un grand tableau sonore. Au travers des quatre mouvements reliés au même thème, la pianiste introduit l’auditeur sur un chemin secret et envoûtant.

L’élégant thème du début de la Sonate n°5 sonne comme un rayon de soleil et rappelle des mélodies de Reynaldo Hahn. Lydia Jardon sculpte un petit bijou et dévoile le visage optimiste du compositeur. Largo Espressivo est comme un jeu de clair-obscur ; ce parcours introspectif est sombre et solennel en tessiture grave et nous amène peu à peu vers une atmosphère lumineuse.

La dernière sonate de Miaskovsky sonne comme un résumé contemplatif de la vie du compositeur. Le jeu de Lydia Jardon reste intense et engagé du début à la fin et retient l’attention de l’auditeur tout au long du parcours de l’ultime sonate.

Avec son art de sculpter la sonorité, sa manière de fusionner avec le piano et une virtuosité loin d’être démonstrative, Lydia Jardon traduit parfaitement la vie intérieure de Miaskovsky.

Lydia Jardon et les Sonates pour piano de Nikolaï Miaskovsky
Lydia Jardon © DR

Nous avons rencontré Lydia Jardon, une artiste libre et engagée. Avec force de caractère et intégrité artistique, Lydia Jardon, pianiste, productrice engagée, pédagogue passionnée et passionnante, entreprend des combats jusqu’au bout de ses convictions.

 

Lydia Jardon, comment vous définiriez-vous  ?

Prise de risques, je dirais. C’est avant tout dans mes actions, que ce soit pour mon festival, ou pour mon label. Elles se déroulent autour d’une programmation qui met en évidence les compositrices et leurs œuvres peu connues.

 

Parlez-nous du Festival Musiciennes à Ouessant. Et de votre label AR RE-SE.

J’ai créé il y a 20 ans un festival d’un concept féministe dont le but est de mettre en lumière les compositrices et leurs œuvres sous-évaluées. Ce festival de musique de chambre a lieu début août sur l’île d’Ouessant, l’île aux femmes selon l’appellation légendaire (les femmes y gèrent l’infrastructure économique, morale et spirituelle), autour d’une programmation d’œuvres de femmes par des interprètes féminines. Cela fait 20 ans que le festival existe et résiste. Pourtant, les gens (y compris au sein du festival) étaient peu convaincus au départ. On m’avait dit il y a 20 ans « vous allez vous épuiser très vite faute de combattante… »

Fanny Mendelssohn, Clara Schumann, Cécile Chaminade, Mel Bonnis, Marie Jaëlle, Rebecca Clarke, Amy Beach…. Vous pouvez consulter sur le site du festival la rétrospective de toutes les compositrices qui ont été mises en lumière. Depuis quelques années, une jeune compositrice est mise à l’honneur chaque année. Je trouve intéressant d’inviter des artistes de notre temps. Cette année, Camille Pépin sera mise à l’honneur.

Dans le sillage iodé, j’ai aussi créé mon label en le nommant AR RE SE, c’est un mot qui veux dire CELLES LA en breton. J’ai enregistré beaucoup de jeunes femmes souvent invitées au festival ; une manière de soutenir les artistes auxquelles je suis extrêmement fidèle.

Lydia Jardon et son disque Miaskovsky
Lydia Jardon © DR

 

Qui est le public de ce festival ?

Dans les premières années il y avait beaucoup de femmes dans le public, mais le festival est ouvert à tous. D’ailleurs je souhaiterais davantage élargir le public et pour cela il faudrait plus de capacité d’accueil. Le festival est médiatiquement connu, en revanche la capacité hôtelière actuelle est insuffisante. Cette année l’événement fera en sorte de pouvoir accueillir plus de monde.

 

Vous êtes une grande amatrice de quatuor à cordes. Qui sont les compositrices ayant écrit pour cette formation ?

En fait, dans les quatuors à cordes, il y a une esthétisation sophistiquée quant à la justesse, une symbiose absolue des âmes. Instruments et instrumentistes ne forment qu’un son. Beaucoup de compositrices ont écrit des quatuors à cordes ou quintettes avec piano : Fanny Mendelssohn, Rebecca Clarke, Ritah Strohl, Amy Beach…

D’une intensité émotionnelle, le Quintette de Amy Beach peut être mis en parallèle sans aucun problème avec celui de Brahms.

 

Comment le projet de Miaskovsky s’est déroulé ?

Le directeur artistique des éditions Chant du Monde est venu me présenter les partitions de Miaskovsky. C’était une évidence de faire un projet d’enregistrement quand j’ai découvert les partitions. Je suis allée en Russie dans le cadre de ce projet. Une des nièces de Miaskovsky a organisé mon concert au Musée Scriabine alors que j’ai un jeu très engagé avec beaucoup de pédale : quarte de pédale, vibrato de pédale. Ce qui est loin de la manière russe qui est très verticale.

 

Festival Musiciennes à Ouessant : http://www.musiciennesaouessant.com

Label AR RE-SE : http://arre-se.com/index.html

 

Passionnée de musique depuis son plus jeune âge et pianiste accompagnatrice, Marine partage ses émotions au travers de ses chroniques. Elle collabore en tant que rédactrice avec différents médias français et coréens spécialisés dans la musique classique. Diplômée du cursus professionnel « Administrateur / Producteur Projets Musicaux » à l’Université Paris X, Marine est conseillère artistique et développe divers projets artistiques.

Derniers articles de Interview